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  • Depuis la Déclaration de Paris, en 2005, les modalités d’attribution de l’aide ont fait l’objet d’une réévaluation sincère. La poursuite de « bonnes politiques » et l’« appropriation » des programmes d’aide par les bénéficiaires sont devenus des éléments clés du nouveau cadre qui en est résulté. Cependant, si le vocabulaire de la communauté des donneurs a évolué, la « conditionnalité de l’aide » demeure partie intégrante des dispositifs. Dans quels domaines la conditionnalité soulève-t-elle toujours des controverses ? Dans quelle mesure les bailleurs de fonds ont-ils réussi à stopper la montée de la conditionnalité typique des années 80 et 90 ? La communauté des donneurs met-elle en pratique ce qu’elle préconise, notamment en ce qui concerne l’allocation de l’aide en fonction de critères précis de gouvernance et de développement ? Quelles sont les implications de la crise financière sur la soutenabilité des cadres existants de la conditionnalité ? Voici quelques-unes des questions auxquelles cette étude tente de répondre.

  • La crise financière internationale, qui a débuté en 2007 avant de s’aggraver sensiblement en septembre 2008, a conféré une nouvelle importance aux institutions financières internationales (IFI) et notamment au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale. Avant le déclenchement de la crise, les demandes adressées à ces deux institutions avaient fortement décliné. Bénéficiant de circonstances extérieures particulièrement favorables (le cours élevé des matières premières entre autres), la plupart des pays en développement n’avaient plus un besoin pressant des ressources financières des IFI. De plus, l’acceptation de fonds s’accompagnant généralement d’une lourde conditionnalité, nombre de pays en développement leur préféraient d’autres sources de financement.

  • Au cours des 30 dernières années, la conditionnalité a pris une importance qu’il aurait été difficile de prédire aux premières heures de l’aide au développement. Les bailleurs de fonds exercent aujourd’hui une influence énorme sur la prise de décision et l’exécution des politiques publiques dans des domaines aussi divers que la démocratie, la réforme judiciaire, la gouvernance des entreprises, la santé, l’éducation et l’environnement (Chang, 2005).

  • Les implications de cette dernière évolution des politiques de conditionnalité des donneurs sont discutables et seront étudiées plus loin (chapitre 7). En principe, on peut cependant dire que la communauté des donneurs est décidée à réduire la conditionnalité et à promouvoir l’appropriation. Ainsi la Commission pour l’Afrique (2005, p. 34) a proclamé en 2005 que « les conditionnalités de politique économique (…) constituent un empiètement sur la souveraineté mais sont également inefficaces ». La même année, le Royaume-Uni a produit un important document dans lequel le gouvernement s’engage courageusement à éliminer la conditionnalité et à adopter une démarche non interventionniste : « le Royaume-Uni n’assortira pas son aide de conditionnalité portant sur les décisions d’orientation des politiques publiques spécifiques faits par les gouvernements partenaires et ne tentera pas non plus de leur imposer des choix en la matière (y compris dans des domaines économiques sensibles comme la privatisation ou la libéralisation des échanges) » (DFID, 2005, p. 10). Lors du sommet du G8 de Gleneagles, en juillet 2005, les dirigeants ont confirmé qu’il fallait permettre aux pays bénéficiaires de « décider, planifier et organiser leurs politiques économiques en fonction de leurs propres stratégies de développement, dont ils doivent assumer la responsabilité devant l’ensemble de leurs concitoyens ». Ce type de déclarations est de plus en plus fréquent depuis la seconde moitié des années 1990, avec les désillusions croissantes devant les résultats de l’ajustement structurel. Certains pays, comme le Canada, ont tout simplement abandonné la pratique de la conditionnalité. Au cours des dix dernières années, les appels à la réduction de celle-ci et à une plus grande appropriation se sont faits plus pressants. Mais qu’en est-il dans la réalité ?

  • L’essentiel de la littérature empirique consacrée à l’impact de la conditionnalité couvre les programmes du FMI, pour des raisons simples : la conditionnalité associée à ces programmes est la plus ancienne et les données sont facilement accessibles. Depuis les années 1990, le FMI lui-même fournit des données sur le respect de la conditionnalité de ses programmes, à travers sa base de données MONA sur le suivi des accords du FMI1. Les études empiriques relatives à l’impact de la conditionnalité se divisent en deux courants. L’un d’eux, admirablement résumé par Dreher (2008), tente de déterminer dans quelle mesure les bénéficiaires respectent la conditionnalité. Les études qui s’inscrivent dans ce courant concluent généralement que le respect de la conditionnalité est assez lâche (voir, entre autres, Mecagni, 1999 et Edwards, 2001). Le second courant étudie les impacts du respect de la conditionnalité sur les politiques économiques et leurs résultats.

  • Aussi surprenant que cela puisse paraître, les économistes s’accordent à dire qu’il n’existe pas « de solution unique ». Dès 1979, les recommandations du FMI relatives à la conditionnalité insistaient sur la nécessité d’éviter les approches stéréotypées, de prendre en compte à leur juste valeur les circonstances politiques et économiques individuelles de chaque pays et de limiter à un niveau minimal les conditions attachées aux prêts. La Banque mondiale (2005, p. 22) a reconnu que « les enseignements à tirer des années 1990 sont que les prescriptions de politiques générales n’aboutissent souvent à rien et qu’il n’existe pas de modèle unique du développement ». De telles déclarations transcendent les divisions idéologiques. Stiglitz (2005, p. 1) observe que « s’il existe un consensus aujourd’hui sur les stratégies susceptibles d’aider au développement des pays les plus pauvres, c’est bien que cela ne fait pas consensus ». Feldstein (1998, p. 5) émet une opinion similaire :

  • L’efficacité de la conditionnalité repose en grande partie sur la détermination des donneurs à suspendre l’aide en cas de non-respect des conditions. Pourtant, pour une multitude de raisons, les bailleurs de fonds hésitent souvent à le faire (Killick et al., 1998 ; Kanbur, 2000 ; Woods, 2007 ; Dreher, 2008). Pour des motifs qui tiennent à l’histoire, à la politique extérieure, à la sécurité, à l’investissement et au commerce, les pays donateurs tendent à soutenir certains gouvernements bénéficiaires et à utiliser leur aide et leur influence au sein des IFI en échange d’indulgence envers leurs clients préférés. Des considérations économiques et géopolitiques expliquent encore en grande partie l’allocation géographique des flux d’aide. Il ne fait aucun doute que l’utilisation de l’aide à des fins diplomatiques a été ravivée par les attaques du 11 septembre, l’aide à destination du Moyen-Orient ayant été multipliée par quatre entre 2001 et 2004 (Lancaster, 2007, p. 7). Dans ce contexte, les bailleurs de fonds sont souvent réticents à stopper l’aide, quelles que soient les performances réalisées par les bénéficiaires en matière de réalisation des objectifs. Comme le dit Kanbur (2000, pp. 5-6), « en cas de difficulté, toute la pression, exercée notamment par les bailleurs de fonds, consiste à détourner le regard lorsque les conditions fixées sont violées ». De plus, les instruments de coordination entre les donneurs sont rarement suffisamment résistants pour maintenir la solidarité face aux intérêts conflictuels des bailleurs de fonds (Killick et al., 1998, p. 174). Les gouvernements bénéficiaires habiles choisissent souvent de diviser pour mieux régner, stratégie qui se révèle efficace auprès des bailleurs de fonds.

  • Après avoir démontré les difficultés pratiques d’une allocation de l’aide en fonction de la performance, nous examinons comment les bailleurs de fonds peuvent atténuer les difficultés associées à la conditionnalité. La solution consiste en partie à réexaminer les arguments en faveur des différentes modalités de l’aide. L’OCDE (2008b, p. 15) souligne que la plupart des donneurs les combinent en fonction du contexte, sans montrer aucune préférence envers l’une d’entre elles. De nombreux donneurs utilisent encore l’aide-projet, qu’elle s’inscrive ou non dans une approche sectorielle ou un programme, pour garder le contact avec les réalités du terrain, travailler avec des acteurs non traditionnels comme le secteur privé et la société civile, concevoir des approches innovantes et compenser le manque de moyens institutionnels du pays bénéficiaire. La vogue de la coopération décentralisée, notamment dans des pays donateurs comme l’Espagne qui ont fortement développé la coopération ces dernières années, a rendu l’aide-projet plus visible.

  • Le débat qui nous préoccupe est peut-être en partie rendu obsolète par les événements. Comme nous l’avons noté dans l’introduction, avant même la survenue de la crise, le pouvoir de fait dont jouissaient les grandes puissances pour imposer la conditionnalité via les IFI, gardiennes du système international de conditionnalité, s’était en grande partie émoussé. Le FMI a en particulier vu son rôle amoindri du fait de la conjugaison de deux facteurs – le niveau élevé des cours des matières premières et des taux d’intérêt extrêmement bas sur les marchés – qui ont offert aux pays en développement un degré d’autonomie financière inédit depuis des générations. La Banque mondiale a elle aussi vu les demandes de financement baisser et son image ternie par des problèmes de gouvernance interne.

  • À bien des égards, le débat relatif à l’appropriation et à la conditionnalité est contre-productif et détourne l’attention de problèmes graves que les bailleurs de fonds doivent régler de manière urgente. L’architecture internationale de l’aide a évolué de manière spontanée et présente malheureusement de graves dysfonctionnements. Reisen (2008) la décrit comme un « non-système ». Kharas (2009) a très bien résumé les problèmes récurrents qui affectent l’aide au développement. En dépit de la volonté affichée d’y remédier (paragraphes 6 et 33 de la Déclaration de Paris), l’aide continue de se fragmenter (Banque mondiale, 2008 ; OCDE, 2008a). La charge administrative associée à l’aide et supportée par les pays bénéficiaires n’a quasiment pas diminué. La coordination est insuffisante et l’assistance technique a crû dans des proportions excessives, aux dépends de l’investissement dans les secteurs productifs et sociaux. Dans le même temps, la part de l’aide programmable par pays (c’est-à-dire le montant des fonds disponibles pour des projets et des programmes de développement dans les pays bénéficiaires) sur l’ensemble des flux d’aide reste trop faible. Il faut trouver une solution rapide à ces problèmes structurels.