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  • Voilà une dizaine d’années qu’un groupe d’économies émergentes et en développement tire la croissance et le développement, faisant basculer le centre de gravité de l’économie mondiale. Depuis dix ans, la progression du produit intérieur brut (PIB) mondial doit davantage aux pays en développement qu’aux économies avancées. Si cette tendance devait se poursuivre, les pays en développement représenteront 57 % du PIB mondial en 2030. Les économies dynamiques – en particulier les géants asiatiques que sont la Chine et l’Inde – sont de puissants moteurs de la croissance économique. Ce rôle est confirmé par leur contribution au redressement mondial après la crise financière et économique.

  • Les Perspectives du développement mondial 2010 sont le fruit d’un effort conjoint d’un certain nombre d’experts du Centre de développement de l’OCDE. C’est Javier Santiso qui en a eu l’idée initiale, tandis qu’Helmut Reisen s’est chargé d’en développer le concept central. Ce rapport a été élaboré sous la direction d’Andrew Mold et de Johannes Jütting par une équipe constituée d’Helmut Reisen, Juan Ramón de Laiglesia, Annalisa Prizzon et Christopher Garroway de Coninck.

  • Au moment où ils surviennent, les événements majeurs sont souvent mal compris et leur importance est sous-estimée. Le rapport Perspectives du développement mondial : le basculement de la richesse voudrait éviter que ne soit reconnue trop tardivement, avec les coûts que cela impliquerait, la nouvelle géographie de la croissance – cette restructuration de l’économie mondiale au tournant du XXIe siècle et qui s’est amorcée au cours des 20 dernières années. Des milliards d’individus ont rejoint l’économie mondiale de marché en tant que travailleurs, consommateurs ou investisseurs et le rattrapage économique a permis à des centaines de millions de personnes de sortir de la pauvreté. Loin d’inverser ce processus, la crise financière l’a accéléré : de nombreuses économies émergentes sont sorties de la récession plus vite que les pays membres de l’OCDE.

  • En 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil, de l’Inde et de l’Afrique du Sud. La multinationale indienne Tata est aujourd’hui le deuxième investisseur en Afrique subsaharienne. Désormais, plus de 40 % des chercheurs du monde entier sont en Asie. En 2008, les pays en développement détenaient 4 200 milliards de dollars américains (USD) de réserves de change, soit plus d’une fois et demie le montant dont disposaient les pays riches. Ce ne sont là que quelques exemples d’une transformation structurelle de l’économie mondiale sur vingt ans au cours de laquelle le centre de gravité économique de la planète s’est déplacé vers l’est et le sud, des pays de l’OCDE vers les pays émergents. C’est ce phénomène que le rapport qualifie de « basculement de la richesse ».

  • Depuis 1990, l’économie mondiale connaît une transformation structurelle qui a provoqué un déplacement du centre de gravité économique de la planète de la zone OCDE vers les pays émergents1. Depuis dix ans surtout, des pôles de forte croissance sont apparus dans toutes les régions en développement. C’est en Asie, où elle est tirée par les solides performances de la Chine et de l’Inde, que la croissance économique est la plus visible – mais ce phénomène ne se cantonne pas à ce continent.

  • La résilience du monde en développement face à la pire crise financière de l’aprèsguerre révèle la vigueur de l’activité économique en dehors des principaux pays de l’OCDE. En effet, le rythme de croissance du monde en développement dépasse celui des économies avancées depuis plus d’une décennie. Le clivage traditionnel entre Nord et Sud n’a plus guère de sens dans un monde qui se multipolarise, où les économies les plus grandes et les plus dynamiques ne sont plus forcément les plus riches ni les leaders technologiques. Ce chapitre décrit la nouvelle géographie de la croissance mondiale. L’hétérogénéité du Sud y apparaît clairement : de nombreux pays en développement commencent à rattraper le niveau de vie des pays nantis, tandis que d’autres ont du mal à percer le « plafond de verre » du revenu intermédiaire et que d’autres encore se débattent toujours sous le poids de l’extrême pauvreté.

  • La croissance soutenue de la Chine et de l’Inde ainsi que leur vaste population sont en train de redessiner le visage de l’économie mondiale. L’ampleur économique que ces pays ont acquise récemment influe sur les marchés mondiaux du travail et des matières premières. Cette nouvelle demande renchérit les prix du pétrole et des métaux industriels. Le choc sur le marché du travail provoqué par l’entrée de la Chine sur les marchés mondiaux déprime les salaires des travailleurs peu qualifiés du monde entier. Néanmoins, le portefeuille d’exportations chinois est en train de s’orienter vers les biens de haute technologie et produit un effet de plus en plus marqué sur les pays à revenu intermédiaire. Le secteur public chinois accumule des actifs, ce qui renforce l’importance du pays sur le plan macroéconomique et financier et dans la conjoncture mondiale. Les variations de l’écart de production chinois exercent une influence croissante sur les taux d’intérêt et de change. Les réserves constituées en Chine et ailleurs ont contribué aux déséquilibres macroéconomiques et à une tarification indue du risque financier sur toute la planète. Compte tenu des raisons socio-structurelles qui président à l’accumulation de l’excédent d’épargne chinois, les outils jouant sur la politique monétaire et les taux de change ne suffiront pas à rétablir l’équilibre. Il sera également nécessaire d’accélérer le rythme de la consommation en Chine, à travers peut-être des réformes de la politique sociale, familiale et des retraites.

  • Le dynamisme grandissant des flux économiques Sud-Sud constitue un élément essentiel du basculement de la richesse mondiale. Les échanges s’intensifient rapidement sous l’effet de l’extension des réseaux de production mondiaux et dans le but de satisfaire aux besoins d’une classe moyenne toujours plus nombreuse. Les échanges Sud-Sud peuvent être bénéfiques au développement mais, pour en tirer le maximum, il faut adopter une politique active et comprendre l’évolution de leurs caractéristiques. Les simulations proposées dans ce chapitre montrent qu’un renforcement de la libéralisation des échanges Sud-Sud peut apporter des gains de bien-être très substantiels. Le basculement de la richesse renforce également le rôle du Sud dans les IDE et l’aide. Les IDE Sud-Sud augmentent rapidement, des entreprises brésiliennes, chinoises, indiennes ou sud-africaines ou des dragons de l’Asie de l’Est devenant des multinationales. Bien que toujours relativement marginaux, les fonds souverains sont de nouveaux acteurs dans le cadre des flux financiers Sud-Sud. Certains pays en développement traditionnellement considérés comme des bénéficiaires de l’aide deviennent eux-mêmes d’importants donneurs, allant audelà de la coopération technique qui a toujours caractérisé l’interaction Sud-Sud dans ce domaine. Cette évolution remet de plus en plus en question les modes existants de prestation de l’aide et estompe la distinction entre les flux privés et l’aide publique au développement (APD).

  • Depuis 1990, le nombre de pauvres disposant de moins de 1 USD par jour pour vivre a diminué de près d’un demi-milliard. La forte croissance des pays convergents y a largement contribué, même si la pauvreté a aussi reculé dans plusieurs pays pauvres ou à la traîne. En fait, la plupart des avancées réalisées dans le domaine de la santé et de l’éducation ne résultent pas de la croissance. Selon son rythme et son profil, et en fonction du contexte national initial, cette croissance est plus ou moins de nature à se traduire par un développement social. Les changements technologiques et structurels sous-jacents au basculement de la richesse s’accompagnent souvent d’un creusement des inégalités à l’intérieur des pays. Cependant, même si de profondes inégalités peuvent limiter les effets de la lutte contre la pauvreté, de plus en plus de pays ont aujourd’hui les moyens nécessaires pour surmonter les problèmes de distribution des revenus et pour encourager le développement social.

  • Le transfert massif de capacités manufacturières des pays membres de l’OCDE aux économies en développement constitue l’un des aspects les plus frappants de la nouvelle répartition mondiale de l’activité industrielle qui s’opère depuis quelques décennies. Dans ce contexte de basculement de la richesse, ce chapitre examine quelques-unes des grandes caractéristiques du processus de croissance dans les pays convergents. Il se concentre en particulier sur l’aptitude de ces pays à absorber des technologies et à en produire de nouvelles. Le basculement de la richesse s’accompagne d’un creusement du fossé technologique entre les pays en développement qui sont à même d’innover et ceux qui ne semblent pas en mesure de le faire. Il existe différents moyens de produire ou d’acquérir de la technologie : renforcement du capital humain, recherche et développement, investissements directs étrangers, échanges commerciaux. Pour obtenir un avantage concurrentiel, les pays en développement doivent encourager des stratégies qui aideront les entreprises locales à absorber la technologie et le savoir-faire managérial les plus récents. Il faut toutefois mener une politique publique nettement plus active pour créer un environnement plus propice que ce n’est actuellement le cas dans la plupart des pays pauvres ou à la traîne.

  • Les pays en développement sont confrontés à des défis inédits pour élaborer leurs politiques publiques dans le nouveau paysage économique et social de la planète. Compte tenu du dynamisme croissant de certaines grandes économies en développement, il convient de réviser les stratégies de développement de sorte qu’elles correspondent aux nouveaux risques et opportunités. Il faut prêter une attention toute particulière aux politiques nationales axées sur les investissements directs étrangers, la gestion des ressources naturelles, le développement agricole ainsi que la protection sociale. La multiplication des coopérations et interactions Sud-Sud est essentielle dans tous ces domaines. L’apprentissage par les pairs Sud-Sud constitue un outil efficace pour mettre au point des politiques idoines.

  • Certaines réponses au basculement de la richesse ne sauraient être unilatérales et requièrent au contraire une action collective. L’architecture actuelle de la gouvernance mondiale date de la fin de la Seconde Guerre mondiale et a besoin d’être dépoussiérée. On peut toutefois observer une évolution, puisque le G7 a d’abord été remplacé par le G8, puis par le G8 + 5 et maintenant par le G20. L’instance qui était au départ destinée à apporter une réponse à court terme à la crise financière est en fait devenue un nouveau forum pour le dialogue sur l’économie internationale. L’apparition de nouveaux donneurs tels que la Chine, l’Arabie saoudite et l’Inde met également en évidence la nécessité de repenser la coopération pour le développement. Afin d’illustrer ce besoin croissant d’action collective, que ce soit au niveau multilatéral, régional ou bilatéral, ce chapitre s’intéresse à la politique commerciale. La réduction des obstacles au commerce Sud-Sud, qu’ils soient tarifaires ou non tarifaires, constitue un domaine dans lequel une action bénéfique pour tous est possible. Les transferts de technologie entre les pays en développement, via des pôles transfrontaliers de spécialisation et de coopération le long de la chaîne de valeur mondiale, se prêteraient aussi avantageusement à une collaboration.