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Relever le défi de l'intégrité en Tunisie : Un pari pour l’avenir… et la jeunesse

Écrit par : Amira Tlili, Direction de la Gouvernance publique de l'OCDE
Dernière mise à jour : 8 août 2019

Plus de sept ans après la révolution ayant mené à la chute du régime de Ben Ali, la Tunisie fait encore aujourd’hui face à de nombreuses tensions, palpables lors des manifestations de janvier 2018 contre les mesures fiscales impopulaires et la corruption. Comme en 2011, c’est la jeunesse tunisienne qui incarne le visage de la dénonciation. Un de ses mots d’ordre est de mettre un terme à la corruption endémique qui continue à sévir dans le pays. Ses slogans expriment aussi son mécontentement face aux espoirs déçus d’une société qui s'est élevée contre la dictature et les abus.

Après la révolution de 2011, la Tunisie a connu une dynamique démocratique remarquable. En 2014, elle s'est dotée d'une nouvelle constitution qui consacre les principes universels de liberté et de parité, garantit les droits et libertés individuelles, et reconnaît la jeunesse comme force vive dans la construction de la nation. Les neuf principaux partis politiques du pays ainsi que les trois principales organisations syndicales et patronales reconnaissent la lutte contre la corruption comme un des six piliers du Pacte de Carthage–qui forme la base politique du gouvernement d'union nationale en place depuis 2016.

La lutte contre la corruption reste plus que jamais une priorité. Selon l’Indice de perception de la corruption de 2017 de Transparency International, avec 42 points sur 100, la Tunisie ne figure qu’au 74ème rang parmi 180 pays–un seul point gagné depuis 2012. Cette même ONG estime le coût de la corruption en Tunisie à 2 % du PIB, soit une perte de 1,2 milliard USD par an.

La jeunesse se trouve particulièrement confrontée à la corruption, sous toutes ses formes. À l’échelle mondiale, le Baromètre de la Corruption Globale de Transparency International a révélé qu’en 2013, 27 % des jeunes de moins de 30 ans auraient payé un pot-de-vin au cours des 12 mois précédents. Le rapport de l’OCDE Les jeunes de la région MENA : Comment les faire participer souligne que, dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), la confiance des jeunes générations en la capacité de leurs gouvernements à répondre à leurs besoins a plongé en deçà de celle de la précédente génération.

Les autorités tunisiennes ne sont pas épargnées. Les causes en sont notamment un chômage massif qui touche près de deux tunisiens sur cinq (d’après le rapport de l’OCDE Investir dans la jeunesse en Tunisie : Renforcer l'employabilité des jeunes pendant la transition), et une hausse des prix qui limite chaque jour un peu plus leur marge d’évolution dans la société. La corruption y est aussi pour beaucoup: elle empêche une utilisation optimale des ressources, réduit les opportunités de croissance et de développement, et a un impact tant sur les interactions des citoyens avec les institutions publiques que sur la qualité des services fournis. Il y a aussi la « petite corruption », qui touche les niveaux inférieurs du système administratif et porte sur des montants limités, et qui s’est largement banalisée, comme l'a montré une étude de l'Association tunisienne des contrôleurs publics. Pas moins de 70 % des personnes interrogées par cette association pensent que la petite corruption facilite les interactions quotidiennes. Parmi les plus jeunes (18-25 ans), 75 % partagent ce constat.

Ainsi, d’après les jeunes de la région MENA, les questions de corruption–et de responsabilité gouvernementale–représentent le principal fléau qui affecte leur pays, avant même le manque d’opportunités économiques, professionnelles ou éducatives.

Le gouvernement tunisien a pris des mesures en renforcant le cadre institutionnel et légal de promotion de l’intégrité dans le secteur public. Celui-ci inclut notamment l’Instance de lutte contre la corruption et l'Instance vérité et dignité qui a vu son champ de compétences étendu aux affaires de corruption en 2014.

Le Code de Conduite pour les agents publics tunisiens et la loi sur l'alerte éthique et la protection des lanceurs d'alerte, préparés avec le soutien de l’OCDE, contribuent également à renforcer la culture d’intégrité. La loi d'accès à l'information et le projet de loi en discussion au parlement sur la déclaration de patrimoine et l'enrichissement illicite viennent enrichir ce cadre juridique.

La jeunesse tunisienne a également pris la mesure du défi et s'est engagée contre le fléau de la corruption à travers des réseaux et des organisations de la société civile. Des mouvements et des associations tels que Al Bawsala, I Watch Tunisia ou encore Menich Msemeh ont montré la ferveur de la jeunesse tunisienne pour dénoncer la corruption et promouvoir la transparence et la reddition de comptes, dans les principes comme dans la pratique.

Aujourd'hui, il faut aller plus loin en intégrant davantage les citoyens, et notamment les jeunes, dans l'effort national de lutte contre la corruption. La Recommandation du Conseil de l'OCDE sur l'intégrité publique prône une approche holistique pour promouvoir l'intégrité et lutter contre la corruption. Celle sur le Gouvernement Ouvert souligne l'importance de la transparence et l'engagement de tous les acteurs tout au long du cycle de prise de décision publique. Les jeunes citoyens doivent donc être informés, consultés mais aussi encouragés à participer à la formulation des politiques publiques et à évaluer l'action publique.

Les initiatives tunisiennes qui vont dans ce sens sont nombreuses. Dans son rapport Le gouvernement ouvert en Tunisie, l’OCDE souligne l'action du gouvernement et de la société civile dans ce domaine. Ces initiatives doivent être encouragées et placées dans une approche systématique afin d’inclure les jeunes dans la conception, le suivi et l’évaluation des décisions publiques. Il s’agit aussi de créer des mécanismes qui puissent inciter la jeunesse à dénoncer plus systématiquement les atteintes à l’intégrité, tant au niveau national que local. Comme le suggère le rapport régional Youth Engagement and Empowerment in Jordan, Morocco and Tunisia, les réseaux d'écoles, de maisons de jeunes ou de la culture pourraient être un vrai relai pour sensibiliser les jeunes, et les aider à être un rempart contre la corruption.

La conception de stratégies intégrées pour les jeunes les placerait au cœur des politiques publiques et promouvrait leur participation à la vie publique. Une approche interministérielle conjuguée à une solide impulsion serait décisive pour décloisonner les efforts et déployer de manière cohérente les politiques en faveur de la jeunesse.

L’OCDE soutient ses pays membres et ceux de la région MENA dans l’instauration de politiques publiques engageant les citoyens, et notamment les jeunes, dans ce combat pour l'intégrité. Les moyens sont multiples. Ils vont de la promotion de mesures en faveur d’un gouvernement ouvert, des pratiques de consultation et de participation des citoyens, à la mise en œuvre des principes d'accès à l’information, en passant par la promotion de données ouvertes et la création d’organismes de veille (notamment à travers des organisations locales citoyennes).

La réussite de la première expérience démocratique et pluraliste de la région MENA requiert un effort soutenu dans la lutte contre la corruption. Comme cela a été le cas à de nombreuses reprises depuis la révolution de 2011, la société tunisienne peut parvenir à un nouveau consensus : celui de la transparence et de l'intégrité. Les jeunes tunisiens pourraient en être la force motrice… si on leur en donne les moyens. Il en va de l'avenir du pays.

©L'Observateur de l'OCDE, mai 2018

Références

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