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Pour accroître durablement la croissance et le bien-être, l’Afrique doit accélérer son développement par le savoir grâce à des politiques et des investissements scientifiquement étayés.

Dernière mise à jour : 8 octobre 2018

Selon vous, quelles initiatives faut-il privilégier pour promouvoir l’intégration régionale en Afrique et quelles mesures de coopération internationale faut-il encourager ?

Renforcer la valeur mondiale du savoir africain

Yvonne Mburu, Fondatrice et Directrice générale, Nexakili

Il faut selon moi agir à trois niveaux. Premièrement, définir un cadre commun pour les politiques d’éducation, l’échange de connaissances et la diplomatie scientifique. La mise en place d’économies fondées sur le savoir dépendra largement de la capacité de l’Afrique à produire des connaissances scientifiques. Les rapports actuels les plus optimistes estiment à 2 % la contribution africaine à la production scientifique mondiale. Les pays africains doivent se fixer comme mission de faire converger leurs programmes d’études et d’exploiter les technologies pour accélérer la production et la diffusion de connaissances sur le continent. La mise en place d’un tronc commun, par exemple, permettrait aux élèves et aux étudiants d’un pays de poursuivre des études supérieures ou postuniversitaires dans un autre pays de façon harmonieuse, de participer à des programmes conjoints d’enseignement et de bénéficier de bourses d’études. Ces échanges renforceraient non seulement les liens sociaux et culturels, mais favoriseraient aussi la formation d’un vivier de travailleurs hautement qualifiés dans la région. L’harmonisation des normes, de la qualité et des compétences éducatives favorise une hausse de la productivité globale et renforce la valeur mondiale du savoir africain.

Deuxièmement, consolider les chaînes d’approvisionnement locales et construire des marchés régionaux pour les produits manufacturés. L’Afrique ne peut plus se contenter de fournir les matières premières auxquelles d’autres apportent de la valeur ajoutée. Elle doit renforcer les capacités locales de l’industrie manufacturière, transformer les matières premières et mettre en place des chaînes d’approvisionnement efficaces. Il est primordial de transposer à plus grande échelle les petits marchés fragmentés existants, afin d’en faire des marchés communs gérés par des alliances régionales. Cette convergence entraînera des économies et des gains d’efficacité, permettra aux pays d’approvisionner les marchés régionaux et internationaux en produits locaux, et apportera des bénéfices économiques et sociaux à l’ensemble du continent.

Troisièmement, définir une identité panafricaine et employer une langue commune est indispensable à l’intégration régionale. La langue africaine la plus parlée, le swahili, réunit environ 150 millions de locuteurs dans sept pays. Il serait judicieux d’encourager son expansion et son adoption généralisée en tant que lingua franca africaine. En outre, les obstacles persistants à la libre circulation des personnes – un vestige colonial – doivent être éliminés pour ouvrir la voie à l’ascension sociale, culturelle et économique du continent.

Voir www.nexakili.com

Promouvoir une éducation axée sur les résultats

Amel Kaboul, Directrice générale de l’EOF (Education Outcomes Fund) pour l’Afrique et le Moyen-Orient

La crise de l’éducation est une bombe à retardement qui pourrait nuire à la réalisation de l’ensemble des Objectifs de développement durable à l’horizon 2030, et qui exige une action mondiale urgente. D’ici 2035, sans travaux constructifs, plus d’un milliard de jeunes Africains pourraient errer dans les rues à la recherche d’un emploi.

La Commission de l’éducation et le Global Steering Group for Impact Investment ont réagi en s’unissant pour créer l’Education Outcomes Fund (EOF), un fonds axé sur les résultats de l’éducation en Afrique et au Moyen-Orient. L’objectif est de réunir 1 milliard USD en subventions et financements philanthropiques. L’EOF collaborera avec les gouvernements de la région pour consolider les systèmes éducatifs, mobiliser les capacités et les compétences des acteurs non étatiques afin d’améliorer l’efficacité des dépenses et de contribuer à concrétiser les promesses d’une éducation de qualité pour tous.

Le fonds vise à ce que tous les enfants aient les mêmes chances d’apprendre et de réussir, en ciblant particulièrement les populations défavorisées, notamment les populations rurales les plus isolées, les filles, les enfants handicapés et les réfugiés. Il évaluera (et financera) l’acquisition des compétences utiles : les compétences de base comme l’écriture, la lecture et le calcul, mais aussi les compétences clés du XXIe siècle : compétences socioémotionnelles et informatiques, et d’autres fondements plus vastes d’une éducation de qualité. Il contribuera ainsi à combler le déficit persistant de compétences.

L’EOF affectera les fonds principalement en fonction des résultats obtenus, veillant ainsi à ce que les ressources intérieures financées par les contribuables, l’aide et les financements philanthropiques soient uniquement utilisés pour financer des stratégies qui fonctionnent. Le partage de connaissances entre les gouvernements africains sur ce qui marche, à quel prix, et sur la mise en œuvre de ces meilleures pratiques dans le cadre de nouvelles politiques axées sur les résultats sont des leviers puissants de l’intégration et du développement au niveau régional.

Il s’agit d’une stratégie innovante pour financer des résultats dans l’éducation, puisqu’elle recadre le système entier autour d’un ensemble commun d’objectifs, aux niveaux national et régional. L’EOF donne aux ONG les moyens d’agir et les encourage à innover, à s’adapter et à trouver des solutions propres à chaque contexte. Ainsi, au lieu d’obtenir un financement émotionnel suscité par leur impact, les prestataires seront récompensés sur la base de résultats vérifiés de manière indépendante. Cette transparence totale permettra à l’EOF, aux décideurs et à la communauté des donneurs de consacrer systématiquement les fonds au développement des programmes qui donnent les meilleurs résultats et font la preuve de leur rentabilité.

Voir www.educationoutcomesfund.org/

L’intégration régionale, une aspiration essentielle des pays d’Afrique

Malusi Gigaba, Ministre de l’Intérieur, Afrique du Sud

L’intégration régionale (libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux entre les pays) fait partie des aspirations essentielles des pays d’Afrique depuis leur accession à l’indépendance. Elle occupe une place importante dans leurs stratégies de développement, en raison de la nécessité économique de surmonter les obstacles liés à la faible taille et au morcellement des économies.

Ces aspirations se sont concrétisées par l’adoption récente de trois instruments d’intégration régionale par les États membres de l’Union africaine (UA) : l’Agenda 2063 de l’UA ; la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC) ; et le Protocole de l’UA sur la libre circulation des personnes.

L’Afrique du Sud souhaite voir se réaliser la vision d’une Afrique où les populations circulent librement au-delà des frontières nationales, et où les échanges entre pays sont facilités pour le bénéfice des citoyens. Elle soutient les objectifs d’intégration régionale et de coopération internationale par diverses initiatives publiques :

Tout d’abord, l’Afrique du Sud a adopté un nouveau Livre blanc sur les migrations internationales, centré sur l’Afrique et sur les moyens d’assurer le développement économique. Sa nouvelle politique vise à promouvoir les échanges, l’investissement et le tourisme.

Elle a également supprimé l’obligation de visa pour les ressortissants des pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).

Elle a par ailleurs commencé à créer, en faveur de ces ressortissants, des visas spéciaux de travail et des visas destinés aux commerçants du secteur informel.

Enfin, elle soutient l’utilisation de l’UniVisa pour les visiteurs qui ne viennent pas de la région, afin de favoriser le tourisme régional.

Elle propose aussi un visa à entrées multiples de longue durée (3 à 10 ans) aux hommes et femmes d’affaires, aux universitaires et aux voyageurs fréquents des pays d’Afrique qui exigent un visa et des pays du groupe BRICS.*

L’Afrique du Sud continue de soutenir les travaux des agences des Nations Unies comme le HCR, l’ONUDC ou l’OIM pour un monde plus juste et plus pacifique. En outre, son appartenance au groupe des BRICS élargit ses possibilités d’accès au marché et d’investissement dans les économies émergentes.

Parallèlement, dans le cadre de sa stratégie numérique, l’Afrique du Sud déploie, dans ses zones frontalières, des technologies numériques destinées à faciliter la libre circulation des voyageurs. La sécurité du système national d’identification a enregistré des avancées remarquables grâce à des plateformes numériques fondées sur la biométrie.

Enfin, l’Afrique du Sud attache une grande valeur à son partenariat avec l’OCDE qui renforce ses possibilités d’échanges et d’investissement.

*Brésil, Inde, République populaire de Chine et Afrique du Sud.

Voir www.home-affairs.gov.za

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Les limites de la libéralisation

OECD Observer Roundtable on regional integration in Africa 4 (Diallo)
OECD Observer Roundtable on regional integration in Africa 4 (Diallo)

Mamadou Diallo, Deputy General Secretary, International Trade Union Confederation

Mamadou Diallo, Secrétaire général adjoint, Confédération syndicale internationale

Les données montrent que les mesures de libéralisation déjà mises en œuvre ont ramené la part de l’industrie manufacturière dans le PIB de l’Afrique de 15 % en 1990 à 10,6 % en 2015. Pendant des décennies, l’Afrique a laissé passer des possibilités d’industrialisation, de diversification de son économie et d’élimination de la pauvreté par la création d’emplois décents.

Par exemple, toutes les régions africaines souffrent d’un déficit alimentaire, sauf celle de la Communauté d’Afrique de l’Est qui a continué de protéger le secteur agroalimentaire par des droits de douane élevés et d’autres mesures permettant au marché de se développer.

Actuellement, les politiques commerciales et industrielles des pays africains sont déterminées par les objectifs nationaux. Les responsables africains devraient corriger cette situation en lançant des initiatives industrielles régionales, encourageant les interactions avec les secteurs économiques régionaux. Dans ce but, les gouvernements africains devraient rejeter les accords de partenariat économique avec l’UE, comme le préconisent les syndicats, de façon à préserver leur marge d’action. Les syndicats leur conseillent également d’imposer d’ambitieuses obligations d’évaluation et de résultats à tous les investissements, y compris chinois.

Les négociations qui ont mené à l’Accord de libre-échange continental ouvrent la voie à l’établissement d’une Union douanière continentale d’ici 2022, et à la création d’une Communauté économique africaine d’ici 2028. Nous encourageons ces initiatives, mais tenons également à souligner qu’aucune véritable évaluation d’impact n’a été réalisée sur différents aspects du développement, comme les revenus des travailleurs, l’environnement et l’industrialisation. Les gouvernements africains n’ont pas consulté les syndicats, les défenseurs des droits des femmes, les organisations environnementales ou les autres acteurs de la société civile. Il existe aussi le danger que l’Accord crée une zone sans frontières favorisant la circulation de produits non africains.

Les pays africains devraient lancer une initiative de grande ampleur pour électrifier les territoires, construire des infrastructures numériques et conserver les données personnelles africaines en Afrique, afin de conférer un avantage aux start-up et entreprises locales. Les connexions avec le reste du monde ne devraient être approuvées qu’après une réflexion approfondie.

Voir www.ituc-csi.org/

Un partenaire dans tous les domaines

Stefano Manservisi, Commission européenne, Directeur général de la DG Coopération internationale et développement

Au cours des années à venir, l’Afrique prévoit d’opérer trois grandes transformations structurelles : accroître la valeur ajoutée de sa production, réduire sa dépendance aux énergies fossiles et rejoindre la révolution numérique.

Les pays du continent, réunis au sein de l’Union africaine (UA), ont collectivement fixé leurs objectifs stratégiques intermédiaires. L’Agenda 2063 de l’UA, le Programme pour le développement des infrastructures en Afrique (PIDA), le Plan d’action pour le développement industriel accéléré de l’Afrique (AIDA), l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables (AREI) et l’Initiative de politique et de régulation pour l’Afrique digitale (PRIDA) sont autant d’exemples illustrant le dynamisme du continent et la forte impulsion donnée par les pouvoirs publics.

L’UE est partenaire de l’Afrique dans tous ces domaines.

Le récent lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC) permet de mesurer l’ambition d’accélérer l’intégration régionale en Afrique. La ZLEC stimulera les échanges au sein du continent, favorisera le développement économique durable et la transformation structurelle, facilitera l’industrialisation grâce à la diversification et aux chaînes de valeur régionales, et dopera la production agricole.

Les progrès de l’intégration économique régionale, en particulier grâce aux communautés économiques régionales, sont une pièce maîtresse de ce processus. L’UE y apporte son soutien depuis un certain temps, et continuera de le faire.

L’Union européenne multiplie les actions d’appui à la ZLEC, et met à disposition sa propre expérience du marché unique. Nous apportons des soutiens financiers, et favorisons également les négociations elles-mêmes par l’intermédiaire de la Commission de l’Union africaine (CUA). En plus de la CUA, nous collaborons avec des partenaires internationaux comme la Commission économique pour l’Afrique de l’ONU (CEA-ONU) et le Centre du commerce international (CCI), afin de faciliter la ratification, la mise en œuvre et le suivi de la ZLEC par les autorités africaines. Plus précisément, les prochaines actions soutenues par l’UE contribueront également à élaborer des stratégies nationales de mise en œuvre de la ZLEC. Les divers régimes d’échanges bénéfiques de l’UE fournissent certains des fondements d’une intégration continentale en Afrique. L’objectif ultime, à long terme, serait de parvenir à un accord de libre-échange de continent à continent.

L’Alliance Afrique-Europe pour des emplois et des investissements durables, annoncée par le Président de la Commission européenne Jean-Claude Junker lors de son discours sur l’état de l’Union, donnera à notre partenariat économique une envergure encore inédite en se penchant sur quatre volets interconnectés : favoriser les investissements par la réduction des risques, améliorer l’environnement des entreprises, favoriser les compétences et l’éducation, et stimuler les échanges et l’intégration économique sur le continent africain et entre l’UE et l’Afrique.

Voir le site de la DG DEVCOhttps://ec.europa.eu/europeaid/general_en

©L'Observateur de l'OCDE, novembre 2018

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