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yearbook2018

Relancer l’action publique pour entrer dans l’ère numérique

Écrit par : Andy Wyckoff, Directeur, Direction de la Science, de la technologie et de l’industrie de l’OCDE
Dernière mise à jour : 25 juillet 2017

Le développement du numérique a commencé il y a une cinquantaine d’années, pourtant c’est seulement aujourd’hui que l’on parle de révolution numérique. Comment l’expliquer ? D’abord par la généralisation d’une meilleure connectivité, plus rapide. En 2013, environ 80 % des pays de l’OCDE avaient une couverture haut débit complète, fixe ou sans fil. Mais aussi par l’explosion du nombre de smartphones : aujourd’hui, des dizaines de millions de personnes se promènent avec un mini-super-ordinateur constamment connecté dans la poche. Avec ces changements, la transformation est devenue non plus seulement économique, mais également sociale.

La révolution numérique ne modifie pas les objectifs de base de l’action publique (des emplois de qualité, la mobilité ou un air pur), mais la façon dont nous cherchons à les atteindre. Dans le domaine des transports, par exemple, les politiques doivent prendre en compte les véhicules autonomes, qui représentent des choix, des opportunités et des risques différents. Pour l’éducation, le numérique permet de nouvelles possibilités d’apprentissage tout au long de la vie, accessibles à tous. Et concernant le financement de l’appareil public (la fiscalité), les outils numériques peuvent aider les administrations fiscales à élargir l’assiette des recettes.

Il est peut-être inévitable que le législateur soit en retard par rapport aux évolutions technologiques qui alimentent la transformation numérique, mais l’écart est en train de se creuser - et avec lui, la possibilité de donner forme à cette transformation pour s’attaquer aux problèmes de longue date que sont la faible productivité, la dépendance des personnes âgées et l’accès aux soins. L’un des objectifs clés du projet de l’OCDE « Vers le numérique » est de combler cet écart en améliorant la prise de conscience sur ces questions, leur compréhension, et en aidant les gouvernements à apprendre les uns des autres et à partager les résultats des expérimentations en cours. Mais cela représente un défi pour les pouvoirs publics, et ce pour deux raisons.

D’abord, la vitesse à laquelle la transformation se produit remet fondamentalement en cause les institutions publiques existantes. La révolution industrielle s’est faite sur un siècle, mais la révolution numérique, et notamment la phase actuelle de transformation de la société, se fait sur une génération, et pourrait encore s’accélérer. Nos institutions, que ce soit par exemple dans les domaines de l’emploi et de l’éducation, n’ont pas bien pris en compte ces changements, ce qui provoque chez les citoyens une perte de confiance et des inquiétudes face à l’avenir, faute de repères pour les aider à s’y adapter.

La seconde difficulté majeure est le caractère multidisciplinaire de la transformation numérique, qui suppose de s’affranchir du cloisonnement entre les ministères pour articuler l’action publique à l’échelle de l’ensemble de l’administration et au-delà des frontières. Dans un environnement réticulaire, où d’énormes quantités de données sont produites, chaque politique doit prendre en compte les impératifs de sécurité des données, de protection de la vie privée, d’accès et de bonne gestion. Qui, par exemple, peut accéder aux données contenues dans la « boîte noire » d’un véhicule autonome impliqué dans un accident ? Ces informations sont-elles publiques ? Cette question se posera dans chaque domaine, de la science à l’agriculture, et ce n’est que le début. Ce sont à l’évidence les données qui font la spécificité de cette nouvelle phase de la révolution numérique. Les nouvelles machines, des smartphones à tout ce qui constitue « l’internet des objets », seront de plus en plus dotées de capteurs qui permettront d’enregistrer des données, d’accéder à l’analytique de données massives, à plus d’intelligence artificielle (IA) et d’apprentissage automatique. Il est difficile de dire où cela nous mènera, mais les pouvoirs publics doivent assurément accepter le fait que les temps ont changé et qu’ils devraient utiliser ces outils pour améliorer la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques.

À tous les niveaux, on commence à prendre conscience de l’enjeu. Dans les pays de l’OCDE, des autorités nationales et locales utilisent la technologie pour améliorer leur action : l’Allemagne et son « Industrie 4.0 », l’Estonie qui commence à recourir à la chaîne de blocs pour les services publics, le Mexique qui utilise maintenant la vérification électronique des factures pour lutter contre l’évasion fiscale, et l’Inde qui s’est dotée d’un système d’identification biométrique. Des villes comme New York s’appuient sur le numérique pour gérer la distribution d’eau. Paris a mis en place une infrastructure technologique de location de véhicules électriques. En Afrique, de petites entreprises se connectent aux marchés mondiaux grâce au numérique et un florissant secteur des technologies financières apparaît avec la fin progressive de l’argent liquide.

Il y a tant de possibilités. Les infrastructures, en particulier du haut débit (mobile et fibre optique), sont essentielles, et les pouvoirs publics doivent y garantir l’accès pour que l’économie repose sur des infrastructures modernisées. Mais le matériel ne suffit pas : les pouvoirs publics doivent prendre les devants et ne pas être freinés par des politiques datant du prénumérique. Ils peuvent par exemple réduire le coût de l’accès aux infrastructures en autorisant les opérateurs à utiliser les bâtiments et les infrastructures publics pour l’installation d’antennes-relais.

La transformation numérique requiert une certaine planification de la part des pouvoirs publics. Cela concerne d’abord les citoyens eux-mêmes, le capital humain, qu’il faut doter des compétences nécessaires et de la capacité de se former rapidement car ces compétences vont constamment évoluer. Nous allons devoir nous habituer au changement et nous ne pouvons pas présumer qu’un niveau d’éducation donné sera suffisant pour toute notre carrière. Les pouvoirs publics, de leur côté, doivent préparer des politiques de transition. Il va y avoir des gagnants et des perdants, pour lesquels des programmes d’accompagnement devront faciliter la transition.

Il ne fait aucun doute que les emplois et les compétences vont être directement touchés, pas seulement dans les usines mais dans des secteurs qui n’avaient pas encore vraiment connu l’automatisation, comme le droit, l’éducation, la santé et la finance. Les compétences scientifiques et technologiques joueront un rôle important, mais de plus en plus, on devra les associer à des capacités cognitives de résolution de problèmes, avec en complément, un savoir-être (compétences de travail en équipe, de collaboration et de communication orale). Cet ensemble de compétences est essentiel pour s’adapter et mettre en œuvre le changement organisationnel nécessaire pour pleinement exploiter le potentiel technologique.

’OCDE est une institution née de la Seconde Guerre mondiale qui a vu les prémices de l’ère numérique avec l’utilisation de l’informatique pour casser les codes secrets, et des « données massives » pour cibler les sous-marins. Elle travaille sur le numérique depuis 35 ans puisqu’elle a créé dès 1982 un comité chargé de ce dossier. Il s’agissait d’abord d’une approche sectorielle, qui est ensuite devenue transversale, touchant les différents pans de l’économie et une grande partie de la société. L’étendue des travaux menés par l’OCDE, avec une équipe relativement modeste à Paris, ouvre des capacités d’analyse uniques, de façon transversale et multidisciplinaire, couvrant 14 domaines d’action différents. Cette perspective globale est essentielle dans notre monde hyperconnecté, car une politique appliquée dans un domaine peut avoir des conséquences inattendues dans un autre : interdire le covoiturage, qui enfreint les règles applicables aux taxis, peut empêcher des pauvres de se rendre au travail ; trop limiter les flux de données, pour le respect de la vie privée, risque de freiner les recherches sur la démence ; restreindre le métier d’avocat aux titulaires d’un diplôme en droit peut priver les pauvres de services juridiques fondés sur l’IA.

Les entreprises ont besoin de stabilité réglementaire pour pouvoir planifier, investir et innover. Pour leur assurer cette stabilité, les pouvoirs publics doivent savoir anticiper les évolutions et adopter une stratégie coordonnée avec les diverses parties prenantes. Cette politique est difficile à mener, mais elle sera fructueuse si elle est sincère. Il est important de ne pas considérer la transformation numérique comme un défi ou une menace. Elle soulève certes des inquiétudes légitimes auxquelles il faut répondre, comme la sécurité et la réorientation des travailleurs, mais offre aussi de formidables possibilités de réaliser des objectifs de longue date.

Que l’on pense à la révolution industrielle, à l’avènement de l’automobile et de la production de masse, et l’on se représentera des dirigeants comme Henry Ford et Walter Luther, qui ont réduit la semaine de travail, institutionnalisé les week-ends et généralisé les congés payés, entre autres avantages. Se rappellera-t-on aussi de l’iPhone de Steve Job comme d’une force égalisatrice, qui a autonomisé tous les citoyens et pas uniquement une petite caste ? En ce sens, réussir à piloter la transformation numérique n’est pas tant une question de politiques technologiques que de politique de redistribution. Comment s’assurer que les nouvelles possibilités créées par le numérique profiteront à tous ? Comment les gagnants tendront-ils la main aux perdants et à leurs concitoyens en difficulté ? Si les dirigeants actuels arrivent à prendre les décisions qui donneront naissance à un avenir numérique prometteur et inclusif, tout le monde en profitera.

© L'Annuel de l'OCDE 2017

Références

www.oecd.org/sti/ieconomy www.oecd.org/sti/ieconomy

www.oecd.org/sti/inno www.oecd.org/sti/inno

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