Chapitre 5. Investir en produisant un impact social dans les pays en développement1

Karen E. Wilson
Direction de la coopération pour le développement, OCDE

Les investisseurs à impact social ne visent pas seulement un rendement financier, mais souhaitent aussi susciter des progrès sur les plans social et environnemental. Ce chapitre traite du potentiel qu'offre l'investissement à impact social pour les pays en développement, en présentant plusieurs exemples afin d'en illustrer les modalités concrètes. Les problèmes que soulève ce type d'investissement y sont analysés, notamment la question de savoir comment déterminer si les interventions effectuées ont atteint l'impact voulu, et comment renforcer le corpus de données factuelles. Le secteur public peut promouvoir l'investissement à impact social, par exemple par l'apport de capital-risque, pour permettre au secteur privé d'offrir aux populations les plus pauvres des produits et services de qualité, accessibles à tous et à des prix abordables. Le chapitre présente des recommandations en vue d'accroître la portée et l'ampleur de l'investissement à impact social.

Ce chapitre s’ouvre sur le défi à relever selon Julie Sunderland, de la Fondation Bill et Melinda Gates. Il présente également le point de vue de Manuel Sager, de la Direction du développement et de la coopération (Suisse), et celui de Sonal Shah, Professor of Practice, fondatrice et Directrice exécutive du Beeck Center for Social Impact and Innovation, Université de Georgetown.

  
Le défi à relever : L’investissement à impact social peut-il être utile à « la base de la pyramide » ?

Julie Sunderland, Directrice des investissements liés aux programmes, Fondation Bill et Melinda Gates

Il n’est pas surprenant que le secteur privé ait des difficultés à se mettre au service des clients qui se trouvent à la base de la pyramide, c’est-à-dire des catégories les plus nombreuses et les plus pauvres de la population. Par définition, ceux-ci ne disposent pas de revenus élevés, de sorte que les marges sont étroites. De plus, du fait des infrastructures et des circuits de distribution souvent insuffisants dans les pays en développement, les coûts de transaction liés aux activités menées pour toucher ces clients sont élevés. Une grande partie des achats de biens et services de base destinés aux populations les plus pauvres passe par les canaux de la coopération pour le développement gérés par les pouvoirs publics, qui souvent imposent aux entreprises de lourdes et opaques formalités administratives.

Néanmoins, le secteur privé dispose d’un grand potentiel pour œuvrer au service des populations de la base de la pyramide. En effet, les capitaux qui y entrent à la fois via les investissements et les recettes sont de très loin supérieurs aux apports provenant des organisations philanthropiques et de la coopération pour le développement réunies. De plus, les capacités de commercialisation et de fabrication du secteur privé permettent de moduler la production et la fourniture de produits vitaux d’un prix abordable. Enfin, le secteur privé peut apporter les connaissances, les moyens et les ressources indispensables pour résoudre les problèmes qui se posent dans les secteurs sociaux, et ses capacités en matière de recherche, de développement, d’innovation et d’entrepreneuriat peuvent être exploitées pour créer de nouveaux modèles économiques et des technologies porteuses de transformations.

L’investissement à impact social peut aider à concrétiser ce potentiel. Bien conçu, il peut répondre aux défaillances du marché qui empêchent le secteur privé d’investir dans les secteurs sociaux. À la Fondation Bill et Melinda Gates, nous avons vu concrètement comment, avec patience et souplesse, le capital-risque peut soutenir des modèles novateurs qui permettent d’apporter des produits et des services de qualité, abordables et utilisables par tous, aux populations de la base de la pyramide. Mais s’il est mal conçu, l’investissement à impact social peut être à l’origine de distorsions du marché et soutenir des entreprises non viables.

Pour faire de l’investissement à impact social un moyen crédible d’amener le secteur privé à s’intéresser aux populations de la base de la pyramide, il faut remplir trois conditions :

Faire concorder les objectifs sociaux et financiers. En dehors des ressources limitées qui sont consacrées à la responsabilité sociale des entreprises, les sociétés et investisseurs privés sont mûs par des objectifs financiers. Si des investisseurs d’un genre nouveau peuvent être prêts à sacrifier une partie du rendement financier au profit d’un impact social, il faut cependant, à tout le moins, que les capitaux investis soient remboursés par les recettes de trésorerie issues de l’activité concernée. L’une des principales difficultés à surmonter pour que l’investissement à impact social fonctionne de façon satisfaisante réside par conséquent dans la nécessité d’identifier (et de s’employer à développer) les moyens de faire concorder production de recettes/bénéfices et réalisation d’objectifs sociaux.

La forte diffusion de la technologie cellulaire est un exemple historique de cette concordance. Les téléphones mobiles ont un important impact social dans des domaines aussi divers que la réponse aux maladies, l’inclusion financière ou l’assistance technique, et les sociétés de téléphonie mobile obtiennent d’excellents rendements pour leurs investisseurs. Pourtant, le plus souvent, il n’y a pas adéquation naturelle entre les objectifs sociaux, d’une part, et l’envergure de l’activité et les gains obtenus, d’autre part, comme on l’a vu dans le cas de la téléphonie mobile. L’investissement à impact social a le pouvoir de combler ce fossé grâce à des mécanismes de réduction des risques comme les garanties, à l’utilisation de capitaux de croissance à faible coût pour valider de nouveaux modèles de distribution, et enfin à des investissements sous la forme d’apports de fonds propres pour la création d’entreprises dans des technologies porteuses de promesses analogues à celles de la téléphonie mobile.

Changer les modèles économiques pour atteindre les populations de la base de la pyramide. Les modèles économiques à forte intensité de capital, complexes ou donnant lieu à des coûts de transaction élevés, qui peuvent être efficaces dans d’autres contextes, ne sont pas viables sur les marchés de la base de la pyramide. Le secteur privé est en mesure de mettre au point des technologies, des produits et des modèles économiques nouveaux, adaptés aux besoins des populations de la base de la pyramide, susceptibles d’être rapidement adoptés et permettant de produire des volumes de ventes importants, même si les marges restent faibles. Certaines innovations, par exemple, permettent de réduire les coûts de livraison : cela va des produits de consommation vendus en petites quantités (sachets) aux modèles de distribution fondés sur les agents, en passant par le paiement à l’usage. L’investissement à impact social peut soutenir le développement et l’expérimentation de ces nouveaux modèles économiques en mobilisant et, à terme, en attirant fortement l’investissement du secteur privé.

Développer des compétences de haut niveau en matière d’investissement et de direction d’entreprise sur le terrain. La difficulté d’accès aux capitaux est souvent citée comme un obstacle fondamental à la croissance des petites et moyennes entreprises et des entreprises du secteur social. Pourtant, l’accès aux compétences peut être un problème plus important et plus tenace lorsque les modèles prometteurs se reproduisent et prospèrent. L’investissement à impact social doit développer des compétences à deux niveaux : il s’agit de former d’une part, des intermédiaires et des gestionnaires de fonds sérieux, qui sachent allouer les capitaux et créer des entreprises, et d’autre part, des entrepreneurs et des gestionnaires fiables, capables de diriger des entreprises du secteur social.

Au fil du temps, l’amélioration du taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire et postsecondaire ainsi que du niveau d’instruction, et le développement du savoir-faire entrepreneurial sur les marchés locaux et dans les diasporas, permettront aux talents de s’épanouir. Les investisseurs cherchant à produire un impact social peuvent accélérer ce processus en prenant des risques et en investissant dans la formation de nouveaux intermédiaires et chefs d’entreprise, conscients qu’en se formant, ils acquerront de l’expérience et développeront des réseaux. Quelques réussites peuvent encourager d’autres acteurs du secteur privé à rechercher et développer un capital humain jusqu’ici inexploité.

L’investissement à impact social consiste à utiliser les capitaux publics, philanthropiques et privés pour financer des entreprises dont la vocation est d’agir de manière à produire des effets positifs mesurables sur les plans social et/ou environnemental, et à obtenir en même temps un rendement financier (OCDE, 2015c). Au cours des dix dernières années, il est devenu un moyen d’utiliser les outils de financement classique, en particulier l’aide publique au développement (APD), pour définir de nouveaux modèles économiques qui puissent compléter les modèles existants.

L’investissement à impact social n’offre pas seulement la possibilité de diriger de nouveaux flux de capitaux vers les pays en développement ; il peut aussi donner lieu à des investissements plus efficaces, plus innovants, plus responsables et d’une ampleur plus grande, qui auront ainsi des retombées économiques et sociales positives plus importantes pour les populations pauvres du monde (SIITF, 2014a). Par exemple, une étude du Programme des Nations Unies pour le développement montre qu’en Afrique, les apports de capitaux du secteur privé et des acteurs philanthropiques donnent aux investisseurs d’impact la possibilité d’accroître l’accès aux services de base dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’approvisionnement en eau potable et de l’énergie (PNUD, 2014 ; et encadré 5.1).

Encadré 5.1. « Le paiement à l’usage » dans le secteur de l’énergie

L’ODD 7 appelle la communauté mondiale à « garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable » (ONU, 2015). La demande énergétique progresse dans les pays en développement, et l’on estime qu’il va être nécessaire d’investir environ 34 milliards USD dans les énergies renouvelables (ONU, Schmidt-Traub et Sachs, 2015).

Bon nombre d’entreprises relèvent déjà ce défi. En Afrique, par exemple, M-KOPA Solar propose un système de « paiement à l’usage » de l’énergie solaire aux consommateurs qui n’ont pas accès à des ressources plus centralisées. Depuis son lancement commercial en octobre 2012, M-KOPA a assuré la connexion à l’énergie solaire de plus de 300 000 logements au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda, auxquels il ajoute aujourd’hui plus de 500 nouveaux foyers chaque jour. Cette entreprise propose de l’énergie solaire à un prix abordable aux ménages à faible revenu selon un système de facturation fondée sur la consommation. Meilleur marché que le kérosène traditionnellement utilisé pour l’éclairage, l’énergie solaire est aussi meilleure pour la santé humaine et pour l’environnement. Ayant calculé une diminution de 1.3 tonne des émissions de CO2 sur quatre ans pour chaque installation solaire, M-KOPA estime avoir permis de réduire les émissions de CO2 de 260 000 tonnes.

M-KOPA s’appuie sur une équipe d’ingénieurs logiciel kenyans et étrangers qui ont construit la plateforme dans son intégralité. Ainsi, des capteurs intégrés dans chaque installation solaire permettent à M-KOPA de suivre la consommation en temps réel et de la réguler, le paiement étant assuré à l’aide de systèmes de téléphonie mobile. Le modèle économique novateur de M-KOPA a permis à l’entreprise d’appliquer ses solutions à une plus grande échelle et de prolonger sa réussite par la création d’emplois pour 650 salariés à plein temps et 1 000 agents de vente rémunérés à la commission.

Pour en savoir plus, voir : www.m-kopa.com.

Grace à un système de « paiement à l’usage » appliqué à l’énergie solaire au Kenya, il a été possible de réduire les émissions de C02 de 260 000 tonnes sur quatre ans

De tels exemples montrent comment le pouvoir des marchés, associé à des outils innovants permettant d’utiliser les capitaux publics et privés de manière efficace et rationnelle, peut être canalisé pour résoudre des problèmes sociaux, environnementaux et économiques urgents (voir le « Point de vue » de Manuel Sager, qui présente d’autres exemples illustrant le rôle constructif que peut jouer le secteur public). Ces approches novatrices ne sauraient certes se substituer au rôle fondamental que joue le secteur public ni rendre moins nécessaire l’action philanthropique, mais elles représentent des modèles qui permettent de s’appuyer sur les capitaux existants pour amplifier l’impact social produit (Wilson, 2014).

Point de vue : Le secteur public peut grandement contribuer à promouvoir l’investissement à impact social en faveur des pays en développement

Manuel Sager, Directeur général de la Direction du développement et de la coopération (Suisse)

Le partenariat entre secteur public et secteur privé peut revêtir de multiples formes. S’agissant de la mobilisation de ressources supplémentaires pour le développement durable, les investisseurs désireux de produire un impact social sont des partenaires privilégiés des organismes de développement. Ils comprennent les investisseurs privés et les investisseurs institutionnels, qui ne cherchent pas uniquement à obtenir un rendement financier mais veulent aussi susciter des progrès au plan social et environnemental. Le marché de l’investissement à impact social croît régulièrement depuis quelques années. Les acteurs du développement ont intérêt à être plus attentifs à ce segment de l’investissement et à tenter de travailler en synergie avec lui.

En Suisse, par exemple, le volume des investissements destinés à produire un impact social dans les pays en développement est assez considérable : en 2015, les actifs sous mandat de gestion au titre de ces investissements représentaient dans ce pays un montant estimé à 9.85 milliards USD1. Si le secteur mondial de l’investissement à impact en est toujours à ses balbutiements, il va fortement se développer au cours des années à venir. Les investisseurs souhaitent de plus en plus souvent obtenir un rendement qui ne soit pas uniquement financier et recherchent de nouvelles catégories d’actifs pour diversifier leur portefeuille dans ce sens.

Étant donné la grande proximité qui existe entre les objectifs des investisseurs à impact et ceux de la communauté du développement international, il semble tout à fait naturel que ces deux parties s’engagent dans des partenariats qui mettent davantage leurs efforts en synergie. L’impact exercé par les capitaux à vocation sociale sur les populations pauvres, en particulier sur les marchés à bas revenus, s’en trouverait renforcé.

De mon point de vue, il existe quatre domaines essentiels dans lesquels des organismes de développement, tels que la Direction du développement et de la coopération (Suisse), pourraient s’attacher à davantage travailler en partenariat avec le secteur de l’investissement à impact, et contribuer ainsi à faire de l’investissement à impact social un choix normal.

Premièrement, les gouvernements des pays partenaires et les organismes de coopération pour le développement ne devraient pas méconnaître l’important objectif que constitue le renforcement du cadre global de la gouvernance dans les pays en développement. Cette condition est indispensable à la création de possibilités d’investissement intéressantes, notamment pour l’investissement à impact. Car, en fait, les décisions en matière d’investissement à impact obéissent aux mêmes critères d’appréciation des conditions de l’activité des entreprises que les décisions relatives aux autres formes d’investissement. Parmi ceux-ci figurent une administration publique efficace, le respect de la règle de droit, l’existence d’un cadre macroéconomique solide, une faible corruption, ainsi que la facilité et la transparence des procédures que doivent accomplir les entreprises. La Suisse continuera de coopérer avec ses pays partenaires à l’amélioration des conditions générales de l’activité des entreprises sur leur territoire et à la promotion d’une bonne gouvernance, notamment dans les pays les moins avancés du monde et dans ceux qui sortent d’un conflit.

Deuxièmement, le secteur public peut soutenir la réalisation d’un certain nombre d’activités pour aider à réduire le coût de l’investissement à impact par rapport à celui des autres types d’investissement. C’est dans ce but que la Suisse a créé la Swiss Capacity Building Facility2. Il s’agit d’un partenariat public-privé qui permet d’accorder des dons d’assistance technique de faible montant à des prestataires de services financiers des pays en développement. Ce dispositif contribue à réduire les coûts d’entrée que doivent supporter les organismes désireux d’offrir, à un prix abordable, des services financiers innovants à des personnes à faible revenu, des petits exploitants agricoles et des petits entrepreneurs. Des produits financiers tels que l’assurance pour les intrants agricoles ou les baux à cheptel permettent aux clients d’accroître sensiblement leur revenu, d’employer davantage de personnes et d’atténuer leur vulnérabilité.

Troisièmement, lorsqu’il y a intérêt à le faire, les fonds publics peuvent être utilisés pour mobiliser des fonds privés à travers des garanties ou des investissements de démarrage. En novembre 2003 a été mis en place le responsAbility3 Global Microfinance Fund, l’un des fonds de microfinancement les plus florissants de Suisse, avec un capital initial de 3.6 millions CHF provenant du Secrétariat d’État aux affaires économiques. C’est aujourd’hui un organisme de microfinancement prestigieux qui a investi plus d’un milliard USD de capitaux privés dans divers établissements de microfinancement de pays en développement et en transition4.

Enfin, les acteurs du développement et ceux du secteur de l’investissement à impact social ont besoin de nouvelles plateformes pour l’échange de connaissances et de données d’expérience. Ce dialogue peut les aider à mettre en lumière les actions efficaces et celles qui ne le sont pas, et à faire en sorte que des dispositifs d’incitation appropriés soient mis en place des deux côtés pour faire progresser la concrétisation des objectifs de l’Agenda 2030. En Suisse, les acteurs de l’investissement durable, qui comprennent un certain nombre d'investisseurs à impact, se sont regroupés sous l’égide de la Swiss Sustainable Finance5, afin de contribuer à faire du pays un centre influent de la finance durable. Swiss Sustainable Finance compte aujourd’hui plus de 80 membres appartenant au secteur suisse des services bancaires, financiers et d’assurance, et elle possède un groupe de travail sur l’investissement pour le développement.

Le processus qui doit conduire à la concrétisation des Objectifs de développement durable à l’horizon 2030 est maintenant en train de s’amorcer, et il est clair que les investisseurs à impact social peuvent y jouer un grand rôle. Il importe donc maintenant de définir des politiques plus judicieuses pour pouvoir élargir le cercle les contributeurs.

1. Swiss Sustainable Finance (2016), « Swiss Investments for a Better World. The First Market Survey on Investments For Development ». Selon la définition des « investissements pour le développement » qui a été adoptée pour les besoins de cette enquête, ces derniers doivent nécessairement remplir trois critères pour pouvoir être considérés comme tels : avoir pour but d’améliorer la situation sociale, environnementale et/ou économique dans la région destinataire de l’investissement ; cibler des pays frontières à faible revenu ou à revenu intermédiaire ; viser un rendement du même ordre que celui des autres catégories d’investissement.

2. http://scbf.ch.

3. www.responsability.com/investing/en/678/Investments-AG.htm.

4. www.responsability.com/investing/en/1061/responsAbility-Global-Microfinance-Fund.htm?Product=19665.

5. www.sustainablefinance.ch.

Le présent chapitre analyse la notion d’investissement à impact social en l’inscrivant dans l’optique des autres formes de contributions que le secteur privé peut apporter au développement durable. Il examine le potentiel qu’offre l’investissement à impact social dans les pays en développement ainsi que les problèmes qu’il pose, en présentant des exemples concrets. Il s’achève sur des recommandations concernant les moyens d’encourager l’investissement à impact social dans les pays développés et les pays en développement.

L’investissement à impact social peut aider à résoudre les problèmes de développement

L’investissement à impact social cible généralement les secteurs qui ont des difficultés à attirer d’autres types d’investissement privé, comme les énergies renouvelables, le développement rural ou la santé (Simon et Barmeier, 2010). Les 17 Objectifs de développement durable (ODD) du Programme de développement durable à l’horizon 2030 portent sur des défis de portée mondiale dans nombre de ces secteurs, dont la sécurité alimentaire (ODD 2), la santé (ODD 3), l’éducation (ODD 4) et l’énergie durable (ODD 7). Tous ces objectifs recouvrent la nécessité d’assurer avec plus d’efficience et d’efficacité la fourniture de services sociaux (ONU, 2015). Les investisseurs privés et les organismes de développement publics peuvent apporter une solide contribution au financement de la réalisation des ODD qui ont été approuvés au niveau mondial en utilisant les ressources et les connaissances dont ils disposent de manière à pouvoir exploiter le potentiel qu’offre l’investissement à impact social.

La fourniture de services sociaux constitue une tâche complexe et s’accompagne d’un certain nombre de défis. Un nombre grandissant d’organismes prestataires de services non étatiques – comme les associations d’intérêt local, les organisations caritatives ou sans but lucratif, les entreprises d’utilité sociale, les entreprises à vocation sociale et les entreprises à impact social – s’emploient à répondre à des besoins sociaux en faisant appel à des modèles économiques novateurs (encadré 5.1). L’investissement à impact social peut contribuer de manière déterminante à préparer les marchés à soutenir la croissance et l’expansion de ces modèles au profit des populations pauvres et marginalisées (Koh, Karamchandani et Katz, 2012).

L’investissement à impact social suscite un enthousiasme grandissant

Les capitaux peuvent être investis suivant un large spectre d’objectifs : certains investisseurs s’intéressent exclusivement au rendement financier de leur investissement, tandis que d’autres se préoccupent avant tout de son impact social et environnemental (graphique 5.1). Un nombre grandissant d’investisseurs privés souhaitent à la fois produire un impact social et obtenir un rendement financier, la préférence allant à l’un ou à l’autre de façon variable.

Un nombre croissant d’investisseurs privés souhaitent à la fois produire un impact social et obtenir un rendement financier.

Graphique 5.1. Spectre des objectifs visés par l’investissement
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Source : D’après Bridges Ventures (2015), « The Bridges Spectrum of Capital: How We Define the Sustainable and Impact Investment Market », Bridges Ventures, London, http://bridgesventures.com/wp-content/uploads/2015/11/Spectrum-of-Capital-online-version.pdf

L’investissement à impact social constitue un moyen de diversifier l’investissement. Il est donc susceptible de susciter l’apport de nouveaux capitaux aux pays en développement, en offrant la possibilité de transposer l’expérience, les politiques et les approches des pays développés dans les pays émergents et les pays moins développés. Les investisseurs qui cherchent à produire un impact social dans les pays en développement comprennent les fondations, les particuliers fortunés, les fonds de capital-risque axés sur la phase de démarrage, les fonds de capital-investissement, les institutions de financement du développement et les investisseurs institutionnels (tableau 5.1).

Tableau 5.1. L’investissement à impact dans les pays en développement : exemples en Afrique

Type d’organisme

Produits financiers types

Orientation sectorielle type

Investisseurs

Fondations

Actions, titres d’emprunt, subventions, quasi-fonds propres pour le stade de l’amorçage et la constitution d’un marché.

Montant type des opérations (investissement direct) : 50 000-1 million USD

Accès aux services de base (alimentation, santé, éducation), développement social/humain et initiative visant la création d’un marché (associations, accélérateurs, concours, réseaux, etc.)

  • Fondation caritative Gatsby

  • Réseau Omidyar

  • Fondation Shell

  • Africa Enterprise Challenge Fund

  • Fondation Bill & Melinda Gates

Fonds d’investissement de démarrage à impact ciblé

Actions, titres d’emprunt, quasi-fonds propres, financement des stocks et subventions destinées à des entreprises à un stade de démarrage relativement précoce

Montant type des opérations : 50 000-2 millions USD

Accès aux services de base (alimentation, santé, éducation, eau, énergie) et développement social /humain.

  • Fonds Acumen

  • Fondation Tony Elemulu

  • LGT Philanthropy

  • Root Capital

  • Gatsby Charitable Trust

Fonds de capital-investissement (à impact)

Prise de participation dans des PME en phase de croissance.

Montant des opérations : 5-80 millions USD

Projets d’infrastructures, agriculture, télécommunications, vente de détail, services financiers.

  • Abraaj Africa

  • Phatisa

  • Ariya Capital

  • Harith

Institutions de financement du développement

Actions, titres d’emprunt, quasi-fonds propres (mezzanine) et garanties

Investissement dans des fonds : 50-200 millions USD

Investissement direct : 5-50 millions USD

Infrastructures, agriculture, initiatives visant des problèmes sociaux, environnementaux et de gouvernance

  • Société financière internationale (SFI)

  • CDC Group

  • Sifem (Swiss Investment Fund for Emerging Markets)

  • BAfD (Banque Africaine de Développement)

  • FMO (Banque de développement néerlandaise)

  • AFD (Agence Française de Développement)

Investisseurs institutionnels

Investissement direct : co-investissement à travers des titres d’emprunt (banques) ou investissement dans des fonds (caisses de retraite et d’assurance)

Montant des opérations : 1-200 millions USD

Projets (agriculture, énergie, eau, transports, télécommunications) et phase de croissance des services financiers, vente de détail et immobilier

  • South Africa PIC

  • TIAA CREF (Teachers Insurance and Annuity Association)

  • Equity Bank

  • JP Morgan

Source : D’après PNUD (2014), « Impact investing in Africa: Trends, constraints and opportunities », document de travail, Programme des Nations Unies pour le développement, New York, www.undp.org/content/dam/undp/library/corporate/Partnerships/Private%20Sector/Impact%20Investment%20in%20Africa/Impact%20Investment%20in%20Africa_Trends,%20Constraints%20and%20Opportunities.pdf.

Les fondations ont été pionnières dans le domaine de l’investissement à impact social

Les fondations et les organismes de gestion de grandes fortunes jouent un rôle essentiel dans le développement de l’investissement à impact social (Koh, Karamchandani et Katz, 2012), parallèlement à leurs activités philanthropiques. Le graphique 5.2 indique la répartition géographique de l’investissement financier, de l’investissement à impact social et de l’investissement philanthropique des fondations et des organismes de gestion de grandes fortunes ayant répondu à une enquête du Financial Times en 2015. Les données montrent que l’investissement à impact social occupe une place grandissante parmi les activités principales de ces organismes.

Graphique 5.2. Répartition géographique de l’investissement financier, de l’investissement à impact et de l’investissement philanthropique des fondations et des organismes de gestion de grandes fortunes
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Note : Les répondants comprennent 180 fondations et organismes de gestion de grandes fortunes actifs dans le domaine de l'investissement philanthropique ou de l'investissement à impact.

Source : D’après Financial Times (2015), Investing for Global Impact 2015, The Financial Times Limited, Londres.

 https://doi.org/10.1787/888933400188

Les fondations sont souvent indépendantes des pouvoirs publics et des marchés, ce qui leur donne la liberté de se placer dans une perspective à plus long terme, mais aussi de rechercher et mettre au point des moyens innovants de prendre en charge les problèmes sociaux, économiques et environnementaux. Certaines d’entre elles, comme la Fondation Rockefeller et la Fondation Bertelsmann, s’attachent à favoriser le développement du marché en soutenant la recherche et les réseaux. D’autres effectuent des apports de capitaux « à visée catalytique » au profit d’entreprises sociales, ou contribuent activement au développement de ces dernières à l’aide d’investissements liés à des programmes, c’est-à-dire financés par des ressources qu’elles prélèvent sur leurs fonds de dotation pour les affecter à des projets en rapport avec leur mission essentielle. Ceux-ci peuvent être réalisés parallèlement aux activités normales d’octroi de dons des fondations, et prennent généralement la forme de prêts, de garanties ou de prises de participation ; les sommes issues de leur remboursement ou de leur rendement sont réinvesties dans de nouveaux projets (Rangan, Appleby et Moon, 2011). La Fondation Bill et Melinda Gates et la Fondation Ford ont été parmi les premières à utiliser les investissements liés à des programmes.

Les investisseurs institutionnels se tournent de plus en plus vers le monde en développement

Plus récemment, les investisseurs traditionnels ou classiques – notamment les caisses de retraite, les compagnies d’assurance et autres investisseurs institutionnels – ont commencé à manifester de l’intérêt pour le marché de l’investissement à impact social dans les pays en développement, malgré les difficultés qui y sont associées, comme l’existence de risques importants et les coûts relativement élevés dus aux conditions de l’investissement (WEF, 2014 ; Wood, Thornley et Grace, 2012). Ces investisseurs tendent à privilégier les investissements offrant un rendement financier à la mesure de ces risques (WEF, 2013). Les banques et les fonds de capital-investissement peuvent aussi apporter des capitaux aux entreprises susceptibles de réaliser des bénéfices dans les secteurs sociaux, notamment l’éducation, la santé (encadré 5.2) et la nutrition.

En Inde, 70 % de la population vivent en milieu semi-urbain ou rural ; or, 80 % des établissements de soins du pays sont situés dans les zones urbaines.

Encadré 5.2. L’investissement à impact social dans le secteur de la santé

Nombre de pauvres n’ont pas accès à des services de santé décents. Selon les estimations actuelles, pour « permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge » d’ici à 2030 (ODD 3), 51 à 80 milliards USD seront nécessaires pour les seuls pays en développement (ONU, 2015 ; Schmidt-Traub et Sachs, 2015).

En Inde, 70 % de la population vivent en milieu semi-urbain ou rural et n’ont souvent aucun accès aux services de santé de base, 80 % des établissements de soins étant situés dans les zones urbaines et métropolitaines. Des entreprises comme Vaatsalya Healthcare s’attachent à remédier à ce problème en construisant et en gérant des hôpitaux et des centres de soins pouvant assurer des services de santé primaires et secondaires là où il n’y en a pas mais où les besoins sont pressants.

À l’origine, les fondateurs de Vaatsalya – les docteurs Ashwin Naik et Veerendra Hiremath – ont eu des difficultés à trouver des fonds. Si les investisseurs étaient prêts à financer des entreprises liées aux technologies de l’information, ils considéraient les hôpitaux en phase de démarrage comme peu intéressants. Faisant appel au bon cœur de leurs amis et parents, dont beaucoup étaient originaires de petites villes et de villages, ils ont finalement été en mesure de collecter 150 000 USD auprès d’investisseurs providentiels pour créer une société privée à responsabilité limitée en novembre 2004. Aujourd’hui, 40 % des fonds propres de Vaatsalya proviennent d’investisseurs institutionnels qui attendent un rendement financier de leurs investissements à long terme. Les fondateurs reconnaissent que le soutien d’investisseurs stratégiques a aidé Vaatsalya à passer du statut d’organisation sociale à celui d’entreprise sociale, équilibrant objectifs sociaux et viabilité financière.

Pour en savoir plus, voir : www.vaatsalya.com.

Les résultats de l’enquête annuelle réalisée en 2015 par le Global Impact Investment Network (GIIN) et J.P. Morgan donnent une idée de l’évolution mondiale des activités d’investissement, notamment du nombre croissant d’investisseurs institutionnels engagés dans l’investissement à impact social. Le graphique 5.3 montre où se trouve le siège social d’un échantillon de ces investisseurs (principalement dans des pays développés) et présente la répartition de leurs actifs.

Graphique 5.3. Où se trouvent les investisseurs institutionnels qui cherchent à produire un impact social ?
Actifs sous mandat de gestion selon le lieu d’implantation du siège social des investisseurs, et moyenne pondérée des actifs sous mandat de gestion (2014, milliards USD)
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Source : Enquête annuelle réalisée par J.P. Morgan et le Global Impact Investing Network auprès de 145 investisseurs d’impact (2015), « Eyes on the horizon: The Impact Investor Survey », JPMorgan Chase & Co. and the Global Impact Investing Network, https://thegiin.org/assets/documents/pub/2015.04%20Eyes%20on%20the%20Horizon.pdf.

 https://doi.org/10.1787/888933400191

Contrairement à l’investissement direct étranger conventionnel, l’investissement à impact social est concentré sur les marchés naissants (en développement ou émergents) (Simon and Barmeier, 2010). Il ressort également de l’enquête de J.P. Morgan que les régions cibles de l’investissement à impact social se trouvent de plus en plus souvent dans des pays en développement, principalement en Afrique subsaharienne, en Asie de l’Est et du Sud-Est, ainsi qu’en Amérique latine et aux Caraïbes (graphique 5.4).

Graphique 5.4. Régions cibles de l’investissement à impact social
Nouvelle répartition prévue pour 2015, par région
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Note : Classement selon le nombre de répondants ayant opté pour « Augmentation », enquête réalisée auprès de 145 investisseurs d’impact.

Source : Enquête annuelle réalisée par J.P. Morgan et le Global Impact Investing Network auprès de 145 investisseurs d’impact (2015), « Eyes on the horizon: The Impact Investor Survey », JPMorgan Chase & Co. and the Global Impact Investing Network, https://thegiin.org/assets/documents/pub/2015.04%20Eyes%20on%20the%20Horizon.pdf.

 https://doi.org/10.1787/888933400202

Dans les pays en développement, les dons et l’assistance technique peuvent aider les entreprises dont l’activité vise la résolution de problèmes sociaux à définir des solutions commercialement viables (Bridges Ventures, 2012). Les institutions de financement du développement peuvent jouer un rôle important en effectuant des apports de fonds « à visée catalytique » ou en octroyant des garanties, et en prenant en charge une partie des frais administratifs liés aux opérations d’investissement. Le rapport du Forum économique mondial intitulé « Charting the course: How mainstream investors can design visionary and practical impact investing strategies » présente des conseils pratiques à l’intention des investisseurs classiques qui souhaitent s’engager dans l’investissement à impact social, en particulier sur la marche à suivre pour évaluer la faisabilité des projets, effectuer des audits préalables au niveau sectoriel, lancer des programmes expérimentaux et institutionnaliser les stratégies en matière d’investissement à impact (WEF, 2014).

L’écosystème de l’investissement à impact social est complexe

L’investissement à impact social peut être effectué dans tous les pays et secteurs et pour toutes les catégories d’actifs, et peut avoir des rendements très variables (Bridges Ventures, 2009). Il peut faire appel à un financement fondé sur les résultats, à des approches axées sur les réalisations, à des solutions reposant sur le marché et à différentes formes de partenariat public-privé. Souvent, la diversité des investisseurs se traduit par des apports de capitaux de types divers (encadré 5.3). Les investisseurs peuvent ainsi s’attaquer aux problèmes sociaux visés en suivant une démarche plus modulable que ne le pourraient les pouvoirs publics s’ils agissaient seuls (Rangan, Appleby et Moon, 2011).

La diversité des investisseurs et des apports de capitaux qu’ils effectuent leur permet de s’attaquer aux problèmes sociaux visés en suivant une démarche plus modulable que ne le pourraient les pouvoirs publics s’ils agissaient seuls.

Encadré 5.3. Des fonds de capital-risque social pour l’agriculture et la nutrition

Le Réseau des solutions pour le développement durable des Nations Unies estime qu’il faudra investir 46 milliards USD pour pouvoir « éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable » (ODD 2, Nations Unies, 2015). L’agriculture et la nutrition sont des domaines prometteurs pour les investisseurs à impact social ; elles sont également cruciales pour la réalisation des Objectifs de développement durable.

En Colombie, l’inefficience des chaînes d’approvisionnement, l’accès insuffisant aux marchés et le caractère rudimentaire des pratiques agricoles se traduisent par de faibles revenus pour les petits exploitants. La qualité médiocre des installations de stockage et de distribution est à l’origine de beaucoup de gaspillage. La société colombienne Siembra Viva améliore la productivité des petites exploitations agricoles en assurant une assistance technique et en facilitant le partage des connaissances* . Elle aide les agriculteurs à passer de la production de produits de base à celle de produits biologiques à valeur ajoutée, en les reliant à une réserve de consommateurs dans les villes au moyen de sa plateforme en ligne ; de plus, elle les informe du moment idéal pour planter et récolter à partir de prévisions sur la demande, tout en garantissant l’achat de leurs produits à un prix prédéfini avantageux. En outre, elle s’emploie à éliminer les inefficiences dans la chaîne d’approvisionnement et à abaisser le coût du transport. D’une manière générale, Siembra Viva permet de ramener la proportion de produits gaspillés à 5 %, contre 30 % auparavant, contribuant ainsi à une augmentation proportionnelle des revenus des agriculteurs.

La capacité d’investissement de Siembra Viva est alimentée par Acumen, fonds de capital-risque social qui a investi plus de 88 millions USD dans 82 entreprises en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud. Acumen investit dans les domaines de l’eau, de la santé, du logement, de l’énergie, de l’agriculture et de l’éducation à travers des prêts et des prises de participation. Le montant de ses engagements va de 300 000 USD à 2 500 000 USD, le remboursement ou la sortie étant prévu sept à dix ans plus tard. Ce fonds a été créé en 2001 à l’aide de capitaux d’amorçage provenant de fondations et de particuliers, dont les Fondations Rockefeller et Cisco Systems. Des investisseurs de premier plan ont apporté des contributions supérieures à 5 millions USD, notamment la Fondation Bill et Melinda Gates, la Fondation Robert et Kate Niehaus et Unilever.

* Site internet : http://siembraviva.com/home (en espagnol).

Source : Acumen, http://acumen.org/investment/siembra-viva.

L’éventail croissant des acteurs qui interviennent sur le marché de l’investissement à impact social contribue à faire de celui-ci un univers complexe constitué d’investisseurs (offre), d’organismes destinataires de l’investissement (demande) et d’intermédiaires (graphique 5.5). Comme sur les marchés de capitaux ordinaires, les intermédiaires – comme les banques sociales ou les fonds d’investissement à impact social – jouent un rôle déterminant dans le développement de l’écosystème de l’investissement à impact social. Ils assurent la liaison entre les investisseurs, les organismes destinataires de l’investissement et d’autres acteurs, et apportent des solutions innovantes qui peuvent aider à accroître l’efficience, à réduire les coûts (par exemple, en assurant la création de liquidités et en facilitant l’emploi de mécanismes de paiement) et à atténuer les risques (WEF, 2013). Ils peuvent aussi donner des avis et prêter leur concours pour la structuration des opérations et la gestion des fonds.

Graphique 5.5. Structure du marché de l’investissement à impact social
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Source : OCDE (2015c), Social Impact Investment: Building the Evidence Base, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/9789264233430-en.

Pour l’investissement à impact social comme pour tous les autres types d’investissement, l’existence de conditions propices est déterminante. L’évolution du marché de l’investissement à impact social d’un pays dépend de l’histoire de celui-ci, des besoins sociaux de sa population et de son système de valeurs. La façon dont le système social et le système financier d’un pays sont structurés influe aussi sur la part respective des capitaux publics et privés constituant l’investissement à impact social et, partant, sur le rôle potentiel de ce dernier. Par conséquent, pour faciliter cette forme d’investissement, il est nécessaire de suivre des approches diverses qui soient adaptées aux besoins et à la situation de chaque pays. Une analyse approfondie des contextes et des différences qui les distinguent peut aider à déterminer les approches les plus adaptées pour chaque secteur et pays. Compte tenu de la diversité des problèmes de développement et des besoins en la matière au niveau local, il importe aussi de savoir quels instruments financiers et modèles de financement peuvent être les plus efficaces pour chaque entreprise sociale et à chaque stade de développement (Evenett et Richter, 2011).

L’innovation prospère dans le secteur de l’investissement à impact social

Différentes expériences et initiatives menées depuis quelques années sous l’impulsion des pouvoirs publics, de fondations, d’investisseurs et d’autres acteurs dans des pays développés et des pays en développement aident à l’élaboration de nouveaux modèles et approches (voir l’encadré consacré au « Point de vue » de Sonal Shah et l’encadré 5.4). Les organismes de développement international sont aussi à la recherche d’outils innovants qui leur permettent d’accroître l’efficacité de leurs activités et leur impact à long terme sur le développement, tout en restant dans les limites de budgets réduits.

Point de vue : Les investisseurs cherchant à produire un impact social peuvent transformer des vies s’ils sont capables d’innover

Sonal Shah, Professor of Practice, fondatrice et Directrice exécutive du Beeck Center for Social Impact and Innovation, Université de Georgetown1

Dans de nombreux pays en développement et pays émergents, les acteurs et les modèles économiques du secteur privé parviennent à produire un impact important, durable et mesurable. L’investissement à impact social offre la possibilité d’encourager le secteur privé à investir pour résoudre des problèmes sociaux, en recueillant et en analysant des données sur ce qui fonctionne bien, en portant à une échelle plus grande les programmes et les entreprises efficaces, et en mettant en place des conditions plus propices à l’innovation et à l’entrepreneuriat.

Lorsque le Premier ministre du Royaume-Uni a mis en place la Taskforce internationale du G8 sur l’investissement à impact social en 2013, j’ai été chargée de piloter un Groupe de travail sur le développement international pour élaborer des recommandations sur la façon dont les pouvoirs publics peuvent promouvoir l’investissement à impact comme outil au service du développement international. Prenant en compte la complexité du développement et la nécessité impérieuse de mobiliser des capitaux (emprunts, fonds propres et financement mixte), du savoir-faire et des investissements en nature auprès du secteur privé, le Groupe de travail sur le développement international a présenté trois recommandations2 :

  1. Créer un mécanisme de financement d’impact qui puisse favoriser le développement d’entreprises et de modèles économiques nouveaux et innovants, de manière à constituer une réserve de propositions de projets prêts pour l’investissement.

  1. Créer un fonds obligataire à impact sur le développement axé sur les réalisations, en vue de faciliter le déploiement de projets pilotes dans le monde entier.

  2. Améliorer les outils de mesure, accroître la transparence et fournir les ressources supplémentaires nécessaires au renforcement de l’environnement et de l’écosystème favorisant l’investissement à l’impact.

Comme l’investissement à impact social prend de plus en plus d’importance, des modèles économiques, des instruments de financement, des normes et des politiques d’un type nouveau doivent voir le jour, afin d’étayer les investissements en cours et de les faire passer à plus grande échelle.

De mon point de vue, pour faire face aux véritables défis que pose le changement d’échelle, les investisseurs locaux et internationaux vont devoir faire preuve de souplesse ou prendre des risques. D’où la nécessité d’un effort collectif pour tirer les enseignements des expériences fructueuses et tester de nouveaux modèles. L’évolution du secteur de la microfinance nous rappelle combien de tâtonnements il faut pour créer un produit réussi (Counts, 2008). Autrement dit, les premiers investisseurs vont devoir prendre des risques et peut-être même renoncer à bénéficier d’un rendement financier, dans le but de trouver les meilleurs modèles économiques et les meilleures structures pour réussir le passage à l’échelle supérieure, encourageant ainsi des investisseurs plus importants à suivre. Il est nécessaire de disposer d’outils de mesure et de normes assez efficaces pour permettre aux investisseurs d’évaluer les risques en permanence.

Les investisseurs qui cherchent à produire un impact social peuvent réellement améliorer la vie des pauvres et des personnes démunies qu’ils souhaitent aider s’ils sont capables d’innover, en réformant les cadres existants à l’aide de processus dynamiques permettant à une grande partie des populations pauvres d’accéder à des produits ou à des services susceptibles de transformer leur existence.

1. L’auteure souhaite remercier Innocent Obi pour sa contribution à la rédaction de cet encadré.

2. Pour plus d’informations, voir SIITF (2014a).

Encadré 5.4. Investir dans les compétences au niveau local

Le fonds de capital-risque Aavishkaar India Micro Venture Capital Fund vise le segment de marché à bas revenus dans les régions défavorisées de l’Inde. Son portefeuille d’investissements couvre un large éventail de secteurs, dont l’agriculture, l’éducation, l’énergie, la santé, l’eau et l’assainissement. Aavishkaar effectue des investissements sous forme de prises de participation et de prêts (à court terme) dont le montant va de 15 000 USD à 1.1 million USD. En outre, il assure aux entreprises qu’il soutient un accompagnement sous forme de conseils. Le fond a été lancé en 2001 avec des capitaux d’amorçage provenant de particuliers dont les apports allaient de 5 000 à 10 000 USD. En 2005, il avait réuni près d’un million USD, principalement auprès de particuliers fortunés qui avaient investi jusqu’à 100 000 USD. De 2005 à 2009, des capitaux supplémentaires ont été obtenus de la part de fondations, d’institutions de financement du développement et d’investisseurs fiduciaires.

L’équipe qui a fondé Aavishkaar a dû relever le défi d’adapter la méthode suivie dans la Silicon Valley aux réalités de l’Inde : investir dans des zones rurales où la clientèle cible a peu de ressources financières, tout en assurant un rendement raisonnable aux investisseurs. Aavishkaar a donc procédé à trois innovations importantes :

  1. Déplacer le risque lié à l’investissement : il ne s’agit plus d’innovation en matière de technologie et de produits mais d’innovation dans l’exécution.

  1. Redéfinir les critères d’une réussite exceptionnelle : un rendement de cinq à dix fois le capital investi, et non cent fois.

  2. Trouver des gestionnaires de portefeuille jeunes et expérimentés, mus par la passion et le désir de reconnaissance sociale et d’épanouissement dans le travail.

Source : site web d’Aavishkaar : www.aavishkaar.in.

Les modèles fondés sur le « paiement aux résultats » attirent davantage l’attention

Les instruments fondés sur les réalisations, c’est-à-dire sur le principe du « paiement aux résultats », comme les obligations à impact social, ont été mis en place pour la première fois au Royaume-Uni il y a plusieurs années. Ces modèles de partenariat public-privé retiennent l’attention car ils constituent un moyen efficient de financer des solutions à certains problèmes sociaux, tout en contribuant à la fourniture de services publics. Instaurés à la demande des pouvoirs publics pour servir des objectifs sociaux à travers des actions innovantes et une efficacité plus grande dans la fourniture des services sociaux, ces partenariats visent à atteindre des objectifs préétablis et à produire des effets sociaux mesurables (par exemple, résultats, impact et réalisations). Les prestataires de services sont souvent des organisations non gouvernementales ou des entreprises sociales ayant une expérience de la prise en charge du besoin social considéré ; par exemple, l’obligation à impact social destinée à financer le programme One Service relatif à la prison de Peterborough a permis d’assurer des services de soutien pour répondre aux besoins multiples et complexes des prisonniers nouvellement sortis, et aider ces derniers à se réadapter à la vie en société et à éviter la récidive2. Les investisseurs privés fournissent les fonds requis et ne sont remboursés que lorsque les objectifs visés, définis au préalable par le commanditaire de l’obligation à impact social, sont atteints. Si elles sont prometteuses, les obligations à impact social peuvent aussi être compliquées et longues à structurer et à mettre en œuvre (Addis, McLeod et Raine, 2013).

Les obligations à impact favorisent l’efficacité en matière de développement

Inspiré du modèle du « paiement aux résultats » qui régit les obligations à impact social, les obligations à impact sur le développement visent essentiellement l’obtention de résultats dans les pays en développement. Leur but est d’accroître l’efficacité de la coopération pour le développement en déplaçant l’axe des préoccupations du volume de l’investissement vers la qualité de la mise en œuvre et l’obtention de bons résultats. Cependant, contrairement aux obligations à impact social utilisées dans les pays développés, les obligations à impact sur le développement n’ont généralement pas comme commanditaire une administration locale, mais plutôt une organisation internationale ou un organisme de développement. Par exemple, le ministère britannique du Développement international travaille actuellement à la conception d’une obligation à impact sur le développement pour la prévention de la maladie du sommeil, affection mortelle, en Ouganda3. La participation d’acteurs du secteur privé, susceptibles d’être mieux placés que ceux du secteur public pour assumer les risques liés à l’innovation, est déterminante.

Les obligations à impact social et à impact sur le développement retiennent certes beaucoup l’attention, mais de nouveaux modèles fondés sur les réalisations sont en cours d’élaboration, notamment les fonds axés sur les réalisations (encadré 5.5), les titres à impact social et autres mécanismes simplifiés reposant sur le principe du « paiement aux résultats ».

Encadré 5.5. Examiner le potentiel qu’offre un fonds axé sur les réalisations en matière d’instruction

Chaque année, plus de 120 milliards USD sont consacrés à l’éducation dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, et pourtant les résultats obtenus sont bien souvent très décevants. Ainsi, 58 millions d’enfants ne fréquentent pas l’école primaire et 65 millions d’adolescents n’ont pas accès à l’enseignement secondaire. En outre, 130 millions d’enfants restent à l’école primaire pendant quatre ans sans jamais atteindre le niveau minimal, c’est-à-dire sans acquérir les compétences et connaissances de base qui leur permettraient d’avoir une vie meilleure et d’être utiles à l’économie de leur pays.

Les modèles classiques de financement de l’éducation au moyen de subventions peinent à susciter une amélioration des résultats des élèves. La communauté internationale a peu à peu abandonné l’approche consistant à mettre l’accent sur les ressources apportées, au profit d’une approche fondée sur les réalisations (Pritchett, Banerji et Kenny, 2013). Bien mis en œuvre, le financement fondé sur les réalisations peut inciter les prestataires de services et les pouvoirs publics à innover et à intensifier leurs efforts de manière à obtenir des effets optimaux, en déployant avec efficacité les ressources limitées dont ils peuvent disposer.

Le Global Social Impact Investment Steering Group (GSG), créé en août 2015 pour succéder à la Taskforce internationale du G8 sur l’investissement à impact social, travaille en partenariat avec la récente International Commission for Education présidée par Gordon Brown. Il a chargé Social Finance UK1* de mettre en place un fonds axé sur les résultats en matière d’instruction (Outcomes Fund for Literacy) doté d’1 milliard USD, dans le but d’améliorer les résultats des pays en développement en matière d’éducation.

Plusieurs fonds obligataires à impact sur le développement gérés de façon indépendante vont venir compléter l’action du fonds en soutenant les organisations non gouvernementales et les entreprises capables de mettre en œuvre des programmes efficaces, en attirant des investisseurs privés et en accélérant ainsi l’apport de capitaux aux organismes prestataires de services qui agissent en faveur de l’instruction dans les pays en développement.

* Social Finance UK est un organisme d’investissement social à but non lucratif situé au Royaume-Uni, qui travaille en partenariat avec les pouvoirs publics, le secteur social et la communauté financière pour trouver de meilleurs moyens de résoudre les problèmes sociaux.

Source : Proposition de la Taskforce internationale sur l’investissement à impact social, juillet 2015, www.socialfinance.org.uk/about-us/#sthash.xvzFm3mx.dpuf.

Mesurer l’impact social est essentiel

Définir les résultats attendus contribue à rendre l’entreprise sociale attractive pour les investisseurs. Il est essentiel de pouvoir mesurer l’impact social de façon efficace, fiable et reproductible car les investisseurs veulent pouvoir constater que les interventions qu’ils financent ont bien l’incidence voulue.

Il est essentiel de pouvoir mesurer l’impact social de façon efficace, fiable et reproductible

Cependant, les effets sociaux positifs sont difficiles à mesurer, et le processus de suivi et de mesure du rendement social peut être coûteux en temps et en ressources (encadré 5.6). L’objet précis de la mesure peut aussi varier selon les parties prenantes, ce qui influe sur les indicateurs retenus pour suivre les progrès et apporter des ajustements si nécessaire. Des travaux complémentaires devront être effectués, probablement par les intermédiaires, pour permettre aux investisseurs de mieux appréhender toute la palette des outils de mesure de l’impact actuellement disponibles et les moyens de les utiliser au mieux (E. T. Jackson et Associates, 2012).

Encadré 5.6. Mesurer l’impact social

Mesurer de façon suivie l’impact social et environnemental de leurs activités peut aider les entreprises à déterminer si celles-ci répondent effectivement aux problèmes sociaux ou environnementaux visés et à les améliorer s’il y a lieu, tout en leur permettant d’accéder plus efficacement aux marchés financiers. Transparence et responsabilité concernant l’impact aussi bien financier que social et environnemental peuvent faciliter l’accès au financement émanant d’investisseurs privés et publics.

Mais un certain nombre de difficultés découlent des pressions qui s’exercent sur les entreprises sociales pour qu’elles ciblent un « triple bilan »(création de valeur sociale, économique et environnementale), tout en s’attachant à concilier les intérêts de multiples parties prenantes (Epstein et McFarlan, 2011 ; Dart, Clow et Armstrong, 2010). Cependant, comme la mesure de l’impact social retient l’attention depuis relativement peu de temps, la manière de procéder ne fait pas encore consensus. De fait, un nombre grandissant de méthodes de mesure de l’impact se fait jour.

Le Groupe de travail sur la mesure de l’impact de la Taskforce internationale sur l’investissement à impact social recommande de mesurer l’impact en analysant les relations de causalité à l’intérieur de la « chaîne de valeur de l’impact »– par exemple, définition du lien entre les ressources apportées et les résultats attendus – ainsi qu’en mettant au point un système normalisé de mesure et de notification de l’impact (IMWG, 2014). Le Groupe d’experts de la Commission européenne sur l’entrepreneuriat social (GECES) préconise de mesurer des effets sociaux variés et met en garde contre l’élaboration trop précoce d’une méthode unique (GECES, 2014). Il existe également des dispositifs de mesure tels que le Global Impact Investing Rating System (GIIRS), qui comporte un vaste ensemble d’indicateurs possibles, mais ils peuvent être complexes à appliquer* .

Des recherches complémentaires sont nécessaires pour évaluer les méthodes et systèmes de mesure existants. Elles pourraient faciliter l’élaboration d’une matrice de résultats assortie d’un ensemble d’indicateurs librement accessibles aux entreprises sociales, ainsi que l’établissement d’un centre de connaissances fournissant une aide concrète.

Outre les défis méthodologiques concernant la manière de mesurer l’impact concrètement, il subsiste des difficultés d’ordre pratique. En particulier, les entreprises sociales, et surtout les petites, sont souvent dépourvues des capacités et des ressources humaines et financières nécessaires pour pouvoir exploiter les outils de mesure. Il est important de faire en sorte:

  • que les obligations en matière d’information sur l’impact social ne surchargent pas indûment les entreprises sociales,

  • que les entreprises sociales disposent de ressources et de capacités suffisantes pour pouvoir mesurer l’impact social,

  • que les travaux de mesure contribuent à la prise de décision, et que leur coût ne soit pas excessif au regard de l’importance de la décision.

* Pour en savoir plus, voir SIITF (2014b).

Source : D’après Commission européenne/OCDE (2015), Synthèse sur la mesure de l’impact social des entreprises sociales, Office des publications de l’Union européenne, Luxembourg, http://ec.europa.eu/social/BlobServlet?docId=14353&langId=fr.

Pour que les efforts de mesure soient fructueux, il faut moins s’intéresser aux ressources mises en œuvre et davantage aux réalisations, et trouver les moyens d’évaluer l’impact tant direct qu’indirect. Aujourd’hui, la mesure de l’impact social est encore largement axée sur les ressources apportées et les produits, par exemple le nombre d’enfants scolarisés. La mesure des réalisations est beaucoup plus délicate et nécessite des approches spécifiquement adaptées, qui répondent aux besoins des investisseurs sans surcharger l’entreprise sociale. L’élaboration de systèmes de mesure types de l’impact social sera importante pour attirer davantage les investisseurs classiques (HM Government, 2013). En même temps, il est essentiel d’aider les prestataires de services de tous les secteurs concernés à développer leur aptitude à mesurer les réalisations en matière sociale (Addis, McLeod et Raine, 2013).

La mesure de l’impact social direct d’un projet est importante puisqu’elle permet à l’entreprise et aux investisseurs de déterminer si les résultats visés sont en train d’être atteints. Toutefois, il est aussi essentiel de mieux cerner l’ensemble des effets que produit l’investissement à impact social (y compris les répercussions et les externalités positives) dans le monde pour pouvoir en apprécier pleinement les résultats et faciliter la prise de décision.

Il est indispensable de constituer une base de données factuelles recensant les actions qui fonctionnent

La constitution d’une base de données factuelles sur les actions qui fonctionnent garantira que les capitaux seront investis dans des interventions qui auront l’impact attendu. Elle exige donc que soient systématiquement recueillies et utilisées des données qui permettent des comparaisons entre pays, notamment dans les pays en développement, où s’effectue l’essentiel des investissements à impact social. Une analyse et des études de cas portant sur divers instruments et investissements sectoriels peuvent contribuer à clarifier le rôle des différents acteurs et processus intervenant dans la structuration de l’investissement à impact social. De même, une meilleure compréhension des résultats, bons ou mauvais, produits par les différentes approches peut aider à mettre en lumière les modèles d’investissement à impact social qui fonctionnent le mieux dans tel ou tel pays ou contexte, et faciliter l’application à plus grande échelle des approches couronnées de succès.

Il est également fondamental de mieux saisir les rôles, les motivations et les mécanismes de financement des différents types d’investisseurs, surtout dans le contexte actuel de diversification croissante des modalités de financement du développement. Le suivi et la mesure sont déterminants. Les nouvelles approches de la mesure, comme celle que recouvre le Soutien public total au développement durable (SPTDD) (chapitre 4), aideront à appréhender toute la palette des instruments financiers et des sources d’apports financiers. L’analyse des arbitrages nécessaires entre les différents types de financement devrait aussi s’en trouver facilitée, de même que la compréhension des conditions de marché les plus appropriées pour chaque type de financement.

L’investissement à impact social : aller de l’avant

L’investissement à impact social peut offrir des moyens nouveaux d’utiliser les capitaux publics et privés avec efficience et efficacité pour répondre aux défis sociaux et économiques qui se posent aux niveaux mondial, national et local. Il permet d’intégrer de l’innovation dans les mécanismes de mise en œuvre existants, se prête à l’application d’approches de grande portée fondées sur le marché qui peuvent avoir un impact là où le besoin s’en fait le plus sentir, et incite à une mesure plus rigoureuse des réalisations en matière de développement.

Comme l’a souligné Julie Sunderland dans l’encadré présenté en début de chapitre sur le défi que doit relever l’investissement à impact social, les investisseurs désireux de produire un impact social peuvent répondre aux besoins des populations les plus pauvres en alignant leurs objectifs financiers et leurs objectifs sociaux, en créant de nouveaux modèles économiques et en œuvrant au développement de compétences entrepreneuriales au sein des populations locales. Le secteur public peut jouer un grand rôle dans la promotion de l’investissement à impact social, en fournissant du capital-risque pour « soutenir des modèles novateurs qui permettent d’apporter des produits et des services de qualité abordables et utilisables par tous aux populations de la base de la pyramide ».

Le Cadre d’action de l’OCDE pour l’investissement (voir chapitres 2 et 6) peut faciliter l’investissement à impact social dans les pays en développement en contribuant à la création de marchés entrepreneuriaux dynamiques et de conditions très favorables (OCDE, 2015b). Le Cadre d’action permet déjà d’étayer l’application de politiques d’investissement rationnelles dans une trentaine de pays en développement et émergents du monde entier, en facilitant la mise en place de réformes qui encouragent l’investissement visant à produire un impact social et environnemental, tout en assurant un rendement financier.

Bien que l’investissement à impact social soit encore relativement récent, il donne déjà des résultats sur le terrain dans les pays en développement. Les exemples présentés dans ce chapitre offrent un aperçu des modalités retenues par les prestataires non étatiques pour fournir des services qui répondent aux besoins des populations du bas de la pyramide. Ils montrent que la demande d’un financement visant les besoins sociaux est en augmentation, et que la prise en charge des problèmes de développement peut offrir aux investisseurs à impact social des possibilités d’investissement nouvelles et potentiellement rentables. Mais il reste beaucoup à faire pour qu’au financement correspondent des occasions d’investissement propres à produire un rendement aussi bien financier que social. Les recommandations présentées ci-dessous peuvent aider à la concrétisation de ce potentiel.

Principales recommandations sur les dispositions à prendre pour favoriser l’investissement à impact social

  • Approfondir la connaissance des instruments d’investissement à impact social et de leur applicabilité selon l’optique de l’Agenda 2030 dans divers secteurs et contextes nationaux.

  • Encourager les travaux de recherche, la collecte de données, la réalisation d’études de cas et l’élaboration d’indicateurs sur l’investissement à impact social au niveau international.

  • Accroître la transparence et fournir les ressources supplémentaires nécessaires au renforcement de l’environnement et de l’écosystème favorisant l’investissement à impact ; veiller à ce que les obligations en matière d’information sur l’impact social ne surchargent pas indûment les entreprises sociales.

  • Favoriser le développement d’entreprises et de modèles économiques nouveaux et innovants, qui soient notamment adaptés aux besoins des populations du bas de la pyramide.

  • Développer les compétences entrepreneuriales à l’échelon local, constituer une réserve de propositions de projets prêts pour l’investissement, et faciliter le déploiement de projets pilotes dans le monde entier.

  • Créer une base de données factuelles sur les effets, les réalisations, les réussites et les échecs de l’investissement à impact social, en assurant la comparabilité de ces données d’un pays à l’autre.

  • Faire concorder les motivations sociales et les motivations financières et aider les prestataires de services à développer leur aptitude à mesurer les réalisations d’ordre social.

  • Utiliser de nouvelles approches en matière de mesure, comme le cadre du SPTDD, afin de cerner et d’évaluer tout l’éventail des instruments financiers et des sources de financement.

  • Utiliser les fonds publics dans le but de :

    • renforcer le cadre général de la gouvernance de façon à assurer l’existence de conditions propices à l’activité des entreprises dans les pays en développement, en particulier dans les pays les moins avancés et les pays sortant d’un conflit ;

    • mobiliser les fonds privés en créant des incitations et/ou en contribuant à l’atténuation des risques à travers des garanties ou au moyen de subventions ou d’investissements de démarrage ;

    • faciliter le développement de l’écosystème de l’investissement à impact social afin d’assurer le bon fonctionnement du marché ;

    • mettre en place des plateformes pour l’échange de connaissances et de données d’expérience entre les acteurs du développement et ceux du secteur de l’investissement à impact social.

Références

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Notes

← 1. Je remercie tout particulièrement Julia Sattelberger et Wiebke Bartz, de la Direction de la coopération pour le développement de l'OCDE, pour leur contribution concernant, respectivement, les encadrés et exemples présentés dans le document, et les données de référence et études de cas utilisées.

← 2. Pour en savoir plus, voir : www.socialfinance.org.uk/impact/criminal-justice.

← 3. Pour en savoir plus, voir : https://devtracker.dfid.gov.uk/projects/GB-1-203604 et www.gov.uk/government/news/uk-development-bonds-will-combat-global-poverty.